Rochdi Belgasmi. Zoufri n’a pas fini de séduire

Je n’ouvre pas toujours les invitations que l’on m’envoie, mais je sais que celles de la Fondation de la Maison de Tunisie ont peu de chance de passer aux oubliettes. Cette fois-ci, ma Home Sweet Home Away From Home m’invite à assister à Zoufri : Projet chorégraphique de Rochdi Belgasmi, samedi 14 décembre à 19h.

« Moi… Ce zoufri… Un ouvrier comme ils disent… Je chercherai des moments irrésistibles dans cette  vie paisible. Je mettrai en exergue cette envie et je donnerai mon corps déchaîné. Je bougerai mes hanches de rêves en rêves, de bord en bord. Je chasserai le réel dans le subtil et je n’oublierai pas que je suis fragile. Je lutterai par la danse pour improviser la vie… J’écrirai les spasmes d’une histoire en fragments, en usant de charge et de séduction. »

C’est ainsi que Rochdi Belgasmi, chorégraphe et professeur de danse-théâtre à l’Institut Supérieur d’Art Dramatique et à l’International School of Carthage, introduit son nouveau solo de danse contemporaine tunisienne, Zoufri.

Dans un cadre intimiste, et face à un public attentif, l’artiste présente son projet créatif autour de rboukh, une danse populaire tunisienne disparue. Exclusivement masculine, cette danse était pratiquée dans les cafés maures par la classe ouvrière tunisienne, qui y voyait une certaine forme de thérapie sociale. Danser pour exprimer son appartenance à une communauté. Danser pour s’affranchir des tensions. Danser pour renouer avec la joie de vivre. Rboukh était une danse ouvertement sexuelle et hédoniste, qui évoquait le désir des hommes, leur attirance charnelle, leur quotidien, leurs plaisirs de la vie. Leur vie.

Imitation de l’acte sexuel, déhanchements, invitation de l’assistance. Cette danse a toujours été qualifiée de vulgaire, profane, et déplacée, par la bourgeoisie tunisienne, ce qui l’amène à disparaître des cafés, à l’indépendance. De ce rejet naîtra la déformation du mot zoufri dans la société actuelle tunisienne, voire dans les sociétés actuelles maghrébines, et son association au libertinage. Après l’indépendance, rboukh est reprise par les groupes de Mezoued, qui animent les célébrations tunisiennes. Bien que différente de son interprétation originelle – les allusions sexuelles ayant été retirées – elle continue de rappeler les mouvements quotidiens des ouvriers : le halage, le piochage, le terrassement. Renouvelée, la danse de rboukh est aujourd’hui mixte. Face aux femmes, les hommes étalent leur virilité dans l’espoir de les séduire. Et, les femmes dansent, encouragées par les applaudissements, les chants, et les sifflements des hommes.

En bleu de travail, Rochdi Belgasmi nous livre, avec passion et sensibilité, l’histoire de cette danse populaire et l’origine de son projet chorégraphique. L’oeuvre répond à la nécessité de l’artiste de revendiquer sa liberté de créer et de « passer d’un statut d’artiste à un statut d’artiste-citoyen ».

Zoufri est un véritable voyage dans le temps et l’espace. Un voyage au cœur de la médina de Tunis : de la grande mosquée Zeitouna, au marché de la ville, à Bab Souika, jusqu’au café chantant de Dar El Fath. Entre émotion et enthousiasme, l’assemblée est conquise. Les moins timides se laissent inviter sur scène, tandis que les autres, admiratifs, applaudissent.

Le projet n’est pas encore finalisé, mais tout laisse à croire que Zoufri va en séduire plus d’un…

Crédit photo : Raja Abdelaziz

Crédit photo : Raja Abdelaziz

 

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