Du village de Hjar Nhal aux beaux-arts de Séville, Yassine Chouati a rapidement fait mûrir sa pratique. Son pinceau crie et ses teintes téméraires se déclinent en une palette assez large.
Calés au fond du fauteuil de l’entrée de la librairie Les Insolites, nous étions curieux d’en apprendre plus sur le cheminement du jeune Yassine, dans cet espace qui accueille souvent ses expositions. Une conversation trilingue s’établit.
Un parcours de combattant
C’est à la mort de son père que Yassine part rejoindre sa sœur et sa mère dans le petit village de Hjar Nhal ,dans la commune de Boukhalef, à Tanger. Alors âgé de six ans, il poursuit ses études pour obtenir un bac en option mécanique tout en enchainant les labeurs pour subvenir aux besoins de sa petite famille.
Cette longue période de deuil, qui a été conjuguée à l’austérité, a développé chez lui une appétence pour les arts plastiques. De la souffrance est donc né le besoin de s’exprimer d’une manière alternative et la nécessité de sublimer ses ressentis.
Au vu de sa situation financière, étudier à l’étranger n’était pas une option envisageable sans l’aide de Jean-Pierre Lugli. Alors directeur de l’Ecole Adrien Berchet à Tanger, il est convaincu par son talent et l’aide d’abord à intégrer l’Institut National des Beaux-arts de Tétouan avant de soutenir son départ pour Séville, deux ans après. Véritable père spirituel, cet homme l’accompagnera tout au long de son parcours.
Une oeuvre engagée
« Soy de una sociedad donde la libertad es reducida y el arte es una manera de expressar y de catalisar. Creo que el artista es une personage importante », dit-il dans son espagnol parfait, que je peine parfois à comprendre.
« L’art permet de catalyser les inquiétudes de la société. Et dans des pays où la liberté est réduite, l’artiste est un personnage important »
Yassine conçoit plus l’objet artistique comme porteur de sens politique plutôt qu’esthétique. Son souci de l’engagement transparait dans ses toiles. Dans « Hilan Delgado », des corps gisant sur le sol et des silhouettes criantes se meuvent, reflétant la violence subie par leurs êtres.
La démarche du peintre est sincère et sa représentation tempérée. Son pinceau incisif n’a pas peur du mouvement et sa palette s’enhardit pour se saisir de préoccupations sociales et politiques.
Connaissant son histoire de l’art sur le bout des doigts, Yassine cite la série de 80 gravures « Los Caprichos » de Francis Goya comme oeuvre marquante. En nommant sa série « Hilan Delgado », il fait directement référence à la planche n° 44 du même nom : « Elles filent fin » (en Français).
S’inspirant des estampes du maître espagnol, Yassine souhaite partager sa critique sans jamais imposer de lecture figée. La vision que le coloriste expose témoigne clairement de sa grande sensibilité.
Une méthode de travail en série
Lithographie, peinture ou installations audiovisuelles, il ne craint rien. Il diversifie les approches, nuance les couleurs et affirme ainsi son génie.
Pour ses projets, Yassine apprécie de faire interagir ses toiles. Il conçoit la série et la réfléchit comme un tout. Chaque tableau, élément appelé à rejoindre l’ensemble, se construit, grandit, mûrit en accord avec les autres.
Dans son atelier, Yassine bouge de toile en toile les faisant communiquer mutuellement à des rythmes d’évolution variables, qui dépendent de son inspiration.