Yasmine Hamdan n’est pas une inconnue de la scène underground arabe. La révélation a eu lieu avec Soap Kills, tandem electro-pop formé avec Zeid Hamdan. Déjà, l’on pressentait le cheminement qui allait se réaliser pour aboutir à son dernier album. Nous avons ainsi découvert un monde où des sonorités ultra-modernes se marient merveilleusement avec un lyrisme oriental. Mais nous ne pouvons nous arrêter en si bon chemin. Nulle personne ne peut bien porter la voix d’une oeuvre que son géniteur. Nous avons donc rencontré Yasmine Hamdan.
Parlez-nous un peu de votre parcours, qu’est-ce qui vous a orienté vers la chanson ?
Yasmine Hamdan : Mon père est un amoureux de la musique, il m’a fait découvrir la musique classique, la musique arabe traditionnelle, et certains grands chanteurs français. J’ai aussi toujours rêvé de chanter, de faire de la musique. J’ai commencé à Beyrouth, avec Soapkills, le projet que j’ai formé en 1998 avec Zeid Hamdan. On était jeunes et très motivés, mais aussi complètement paumés, parce qu’on devait tout improviser. Autour de nous, il n’y avait absolument aucun système de référence. La culture des concerts et de la vibe underground n’était pas encore cautionnée. Il a fallu apprendre et persévérer.
Lorsque l’on écoute votre dernier album Ya Nass, l’on est saisi par la richesse de votre musique mêlant langue arabe et sonorités à la fois orientales et ultra-modernes. D’où puisez-vous vos inspirations pour combiner ces éléments ?
Y. H. : Après ma collaboration avec Mirwais avec qui j’avais formé le projet électro-pop arabe Y.A.S, j’ai eu envie de revenir vers un univers plus intime, plus fragile, centré autour de la voix et de la composition. J’ai fait d’abord appel à un guitariste et j’ai avancé sur quelques-unes des chansons dans l’idée de venir avec un album arabe un peu folk. J’ai travaillé chez moi sur des maquettes, des idées de mélodies et de rythme. J’ai ensuite sollicité le producteur français Marc Collin pour m’aider à produire ce disque. On a donc commencé à s’amuser, à faire des expériences avec les machines, les sons et synthétiseurs vintage qu’on avait à notre disposition au studio. C’était en partie improvisé, on a vraiment travaillé dans un cadre très libre. Cet album est mon bébé, j’y ai travaillé pendant plusieurs mois, et j’ai beaucoup appris en le réalisant.
Cette richesse est accompagnée d’une diversité de discours comme en témoignent les paroles. De fait, quel est le message porté par cet album ?
Y. H. : Je travaille dans un cadre très libre, si j’ai envie de chanter ou d’écrire un texte politique, une chanson érotique, ou polémique, je ne me censure pas. A travers ma musique et mes textes, je questionne mon rapport au monde arabe, à son passé et à son présent, mon rapport à ma féminité, ma place en tant que femme artiste et arabe, dans une société qui est en pleine mutation et qui vit des moments de crise et de turbulences. J’essaie de m’affranchir à travers mon travail, de devenir une personne plus libre, plus épanouie. Je suis mes envies, j’aime être excitée par une idée, expérimenter, mélanger les dialectes… Je travaille beaucoup sur les non-dits, les couches de sens, les sous-entendus, et les métaphores, parce que c’est inhérent à la culture arabe et à l’éducation que j’ai reçue. J’ai grandi dans plusieurs pays et j’ai eu accès à différentes cultures, j’aime donc me balader dans ces univers très différents, et créer des croisements. Je cherche à toucher un public actif qui est à la recherche de surprise et qui est, lui aussi, métissé.
On a l’impression que votre dernier album représente une étape nouvelle dans votre carrière où vous auriez atteint une sorte de symbiose entre Orient et Occident. Considérez-vous que cet album a une place particulière dans votre carrière, à la manière d’une consécration ?
Y. H. : Peut être… En tout cas, mon point de départ est mon désir d’expérimenter de nouvelles choses, de prendre certains risques, de m’amuser… Et je vis une vie très cosmopolite. Je peux dire que j’ai été tout autant marquée par la littérature française que par les vieux films arabes. Je ne cherche pas à vouloir appartenir à une seule culture, je ne me vois pas appartenir à un camp ou à un autre… D’ailleurs, je ne pense pas qu’il y ait une réelle séparation ou contradiction entre Orient et Occident. Le brassage culturel, scientifique et social a toujours existé et existera toujours.
Est-ce que vous percevez le fait de chanter en langue arabe comme une forme de contestation, de réaffirmation identitaire, face à l’occidentalisation de la chanson dans le monde arabe ?
Y. H. : Mon travail ne s’inscrit pas dans une contestation, mais dans une affirmation, un désir d’ouverture, d’expérimentation. Je fais une musique qui me ressemble et qui, bien sûr, est en rapport intime avec la société dans laquelle j’ai grandi et avec laquelle je suis très liée. Pour écrire les chansons de l’album, j’ai besoin de temps et de solitude. J’ai aussi besoin de me raconter des histoires, et ces histoires sont souvent liées à mon enfance, mes souvenirs, mon rapport à mon corps… C’est très personnel. Beaucoup de choses s’improvisent sur le moment. C’est ça qui est magique dans la création. Je fais également des collaborations sur d’autres projets qui ne sont pas les miens. Ça me permet de faire des excursions sur des terrains et univers très différents. C’est primordial pour moi d’avoir cette liberté de « circuler » pour revenir à mon projet personnel avec une nouvelle fraîcheur.
Dans une autre optique, pensez-vous porter un projet identitaire en construction, celui d’une nation arabe en recherche entre tradition et modernité ?
Y. H. : Je ne sais pas si je porte cela… En tout cas, je pense que j’ai une responsabilité en tant qu’artiste femme, arabe, et je questionne sans cesse mon rapport à cette société qui, à mon avis, est en pleine crise identitaire. C’est une phase intéressante…
Vous êtes actuellement en tournée, mais quels autres projets avez-vous en perspective ?
Y. H. : C’est déjà beaucoup de travail, les tournées ! La promo aussi, je continue à en faire non stop. Je sors mon album aux Etats-Unis en début d’année prochaine. Je suis également dans le film du réalisateur américain Jim Jarmush, Only Lovers left Alive, qui sortira en fin d’année en Europe, et début 2014 en France et aux USA.