Tanjazoom, un festival de cinéma social à Tanger

Festival annuel de court métrage social récompensant de jeunes amateurs issus de quartiers défavorisés, Tanjazoom est une véritable plateforme d’échange pour une jeunesse marocaine dynamique, créative, entreprenante et qui ne demande qu’à être entendue. Retour sur la 6ème édition qui a eu lieu du 15 au 17 septembre 2017 dans la ville du détroit.

C’est avec des cieux grands ouverts que nous accueille Tanger : la ville-artiste, surplombant le continent. Nous y prenons de la hauteur, dominons l’union de la mer et de l’Océan. La cinémathèque du Rif, cœur battant du centre historique, sera notre case de départ. Elle est à elle seule une allégorie de la multiculturalité de Tanger et de son élan artistique. Son décor nostalgique des années 1950 est une machine à remonter le temps qui nous transporte dans l’âge d’or du cinéma arabe. Pendant Tanjazoom, la cinémathèque a diffusé les panoramas de films en compétition.

Le coup d’envoi du festival, donné le soir du vendredi 15 septembre à la maison de presse de Tanger, a réuni tout un beau monde jusqu’à la tombée de la nuit. Jeunes amateurs, participants accompagnés de leurs familles et spectateurs de tous âges : l’ambiance était festive, l’excitation palpable. Nous y avons retrouvé Hanane Orizy, organisatrice du festival, vibrante d’énergie et d’enthousiasme.

Lancement de la 6ème édition de Tanjazoom. © Filali Maher Mohamed

Durant le week-end, des ateliers techniques de cinéma s’animent, suivis par des conférences-projections débats portant sur des thématiques sociales. Les visages commencent à se familiariser. Les tableaux de Tanger s’enchaînent, limpides et oniriques: la médiathèque articulée autour des jardins Ain Ktiouet, le musée de la légation américaine niché dans la Kasbah, les ruelles de la médina chargées de références artistiques et littéraires.

Pendant les après-midi se déroulent les projections des films en compétition. Narratifs et lumineux par leur réalisme et leur émotion, les courts-métrages défilent à l’ombre de la satisfaction des jeunes participants. On se laisse emporter par la magie de l’image.

Dehors, le va-et-vient est permanent. Le festival est gratuit et ouvert à tous et mobilise beaucoup de monde. Le café de la cinémathèque est bondé et fréquenté à longueur de journée par la communauté créative de Tanger. Le soir, après les projections, nous retrouvons la ville bouillonnante, place Socco, les lumières affaiblies, la médina palpitante.

Musée de la légation américaine

 

Cinémathèque du Rif

 

Un Festival de cinéma social comme projet associatif pour les jeunes de quartiers défavorisés

« L’idée est d’offrir un espace d’expression pour les jeunes des milieux défavorisés et de créer une plateforme d’échange entre amateurs et professionnels. » nous explique Hanane Orizy, organisatrice  du festival.

Tanjazoom est le premier festival de court métrage social au Maroc. Le principe du festival est de mettre en compétition de jeunes amateurs, de Tanger et d’ailleurs, en produisant des documentaires et des courts métrages, portant sur des thématiques sociales. C’est aussi, avant tout, un évènement culturel et éducatif qui donne aux jeunes issus des quartiers périurbains l’occasion de raconter leur réalité.

La jeunesse marocaine à soif de voir des films, d’en produire, d’échanger et de faire des débats. Un festival de cinéma vient satisfaire cette grande appétence chez les jeunes.

Le festival est organisé par le réseau Tanjazoom, composé de 8 associations marocaines et de l’association Casa Infants, travaillant sur l’éducation des jeunes de quartiers défavorisés. C’est en 2009, que l’idée du projet voit le jour.

Après l’organisation de Miroir, une plateforme d’échange entre le Maroc et l’Espagne au sujet d l’exploitation précoce des mineurs, nous nous sommes retrouvés avec beaucoup de productions vidéos.» nous explique Hanane Orizy.«J’ai proposé de mettre en valeur ce travail, en montant un premier forum, Son et Image. Nous avons organisé par la suite la première édition de Tanjazoom.

 

© Filali Maher Mohamed

Atelier sur les techniques d’éclairage animé par le réalisateur Med Reda Gueznay © Filali Maher Mohamed

L’objet de Tanjazoom est de mettre en compétition les courts-métrages produits par les participants, qui sont diffusés pendant le festival à travers des panoramas. Cette année, la direction du festival a reçu au total 80 films, dont 28 qui ont été retenus pour la compétition. Les panoramas des films en compétition sont prévus pendant les soirées, en 3 parties. Les gagnants de l’édition sont annoncés à la fin du festival après trois jours de projections, débats et rencontres. Six prix sont attribués, dont le prix du meilleur court métrage semi professionnel accordé au film Return 0 réalisé par Houda El Amrani, et celui du meilleur documentaire remis au film Invisible du groupe AEI RAVAL, pour ne citer que ceux-là.

Tanjazoom se veut être aussi une véritable plateforme d’échange. En parallèle de la compétition, le festival propose des ateliers sur les techniques de cinéma, des diffusions de courts-métrages et des projections de films hors compétitions. Des conférences-débats ont également lieu, portant sur des thématiques sociales d’actualité : Violence et Société, Migration et Handicap.

Le festival a réussi à mobiliser cette année plus de 1500 personnes, avec la participation de plus de 30 associations marocaines et étrangères.

Tanjazoom, un festival éducatif et formateur pour les jeunes

Lançé en 2009, Tanjazoom en est aujourd’hui à sa 6ème édition. Depuis, les fidèles des festivals – participants, spectateurs et organisateurs volontaires – ont acquis une véritable culture cinématographique.Bon nombre d’entre eux ont d’ailleurs décidé de poursuivre des études dans le domaine du cinéma et en ont fait métier. On cite, à titre d’exemple, le réalisateur Réda Gueznay, invité à animer un atelier sur les techniques d’éclairage.

« Au départ, pour les premières éditions, nous avons refusé de faire appel à des professionnels et avons toléré les erreurs, le manque de professionalisme. Les volontaires se sont formés au fil des éditions. C’est le cas des animateurs par exemple. Aujourd’hui, avec la 6ème édition du festival, il y a une grande amélioration de la qualité du travail et un meilleur niveau d’échange. Nous sommes très surpris par les jeunes. »

Le festival accompagne également les participants durant le processus de la production des vidéos pour la compétition. « Nous sommes constamment sollicités par les jeunes pendant l’année, avant le festival. Nous nous mettons à leur disposition en leur fournissant du matériel. »

Atelier sur les techniques d’éclairage animé par le réalisateur Med Reda Gueznay © Filali Maher Mohamed

 

Atelier de recyclage et dessin animé par les dragons de Tanger © Filali Maher Mohamed

Le cinéma, comme un outil d’expression et de sensibilisation

« Qu’est-ce que le cinéma ? » interroge Ayoub El Jamal, jeune réalisateur invité à animer un atelier d’initiation à la production. Pour de nombreux participants, il s’agit avant tout d’un moyen d’exprimer une vision, un angle de vue, un moyen de raconter une réalité qu’on ignore, de donner à voir les choses d’une nouvelle façon mais aussi d’un outil de changement (a tool to change).

Les vidéos en compétition du festival dépeignent une réalité souvent méprisée, elles dévoilent un vécu et des douleurs réprimés. En traitant de thématiques sociales audacieuses telles que les problèmes de la violence, la misogynie, la drogue et la dépendance, l’insécurité et la difficulté de la vie dans les quartiers populaires, celles-ci font éclater au grand jour des problèmes profonds et des injustices sociales. Leur originalité tient dans leur légitimité troublante : les quartiers sont racontés par leur propres habitants, en empathie directe avec leur objet artistique.

« Le but est d’établir un rapport, un constat, afin d’ouvrir un débat dans la société. L’objectif d’une association est d’ouvrir un débat dans la société, de jouer l’intermédiaire entre l’Etat et la société »,  déclare un membre du réseau associatif Tanjazoom.

Projection-débat au musée de la légation américaine. © Filali Maher Mohamed

L’audio-visuel, un moyen d’initiation des jeunes et de cohésion sociale

Pour une génération très familiarisée avec la technologie, l’audio-visuel est le meilleur moyen d’initier les jeunes

affirme Hanane Orizy.

Le téléphone est devenu une extension du corps qu’on utilise presque de manière instinctive. L’audio-visuel est le meilleur moyen d’attirer les jeunes et de susciter leur intérêt.  Mais il s’agit surtout d’un outil accessible : faire une vidéo aujourd’hui et partager son travail est devenu à la portée de tous. Cette pratique de l’audio-visuel et du numérique peut beaucoup profiter à l’inclusion des jeunes et à la lutte en faveur de l’égalité des chances. D’où la réussite des projets audiovisuels associatifs.

 

Jeunes amateurs, participants à Tanjazoom © Filali Maher Mohamed

 

Atelier en techniques d’animation de groupe CJB © Filali Maher Mohamed

Tanjazoom , une idée qui s’exporte à l’étranger

L’expérience de Tanjazoom s’est beaucoup enrichie par ses rencontres et ses collaborations, elle a aussi pris de l’ampleur puisque la formidable idée de Hanane a essaimé ailleurs… Le festival a inspiré d’autres villes comme Marseille et Barcelone qui ont adopté la même idée en montant à leur tour leur festival de court-métrage social. Après avoir assisté à Tanjazoom, le foyer Calendal de Marseille et le groupe espagnol CJB ont beaucoup apprécié l’idée du festival et ont désiré la reprendre dans leurs villes respectives. C’est ainsi que Marssiliazoom et Barcelonazoom ont vu le jour.

Reportage publié pour la première fois en octobre 2017

REPORTAGE REALISE EN PARTENARIAT AVEC W.A.R (Web Arts Résistances)