Premier long-métrage du réalisateur franco-tunisien Walid Mattar, « Vent du Nord », sorti en salle le 28 mars dernier, s’est vu décerner le Tanit d’or de la première œuvre et le Prix du meilleur scénario aux JCC de Carthage, ainsi que le Prix du jury TV5 Monde. A voir absolument.
Dans le nord de la France, Hervé (campé par Philippe Rebbot) se retrouve au chômage suite à un plan de licenciement. Son usine de chaussures s’implante dans la banlieue tunisoise où le jeune Foued (Mohamed Amine Hamzaoui) est embauché en contrepartie d’un maigre salaire. Hervé, la cinquantaine bien entamée, a enfin l’occasion de devenir pêcheur et de transmettre sa passion à son fils. Foued décroche un emploi pour soigner sa mère et prétendre à un avenir avec sa collègue Karima (Abir Banneni), aussi élégante dans ses répliques que dans son bleu de travail. Chassé-croisé d’ouvriers entre deux rives, le film rend compte de leur résistance par le bonheur simple et l’affirmation de leur dignité.
Si leurs rêves s’échouent aux portes du Pôle Emploi pour l’un ou de la forteresse Europe pour l’autre, ils ne sont pas moins obstinés à les poursuivre. Hervé s’appuie sur le soutien abrupt mais sincère de sa femme (magnifiquement interprétée par Corinne Masiero), quand Foued se ressource dans le sentiment amoureux.
Le film s’ouvre et se clôt sur un grand feu d’artifice. Le procès est sans appel : La France périphérique et la Tunisie post-révolutionnaire sont des miroirs aux alouettes pour les classes populaires. Pour contourner la déshumanisation qui abime leur masculinité (humiliations, injonctions à la performance physique et financière), les hommes trouvent refuge dans leur environnement immédiat. La maison familiale, le bistrot provincial, le café arabe, le cabaret, la plage, sont autant d’espaces pour désaliéner leurs corps et accueillir leur parole.
La mise en parallèle de ces trajectoires de vie où l’utopie caresse la banalité pourrait sembler superficielle. Avec un tel parti pris, le risque aurait été d’entretenir une équivalence entre des contextes hiérarchisés par les rapports Nord/Sud. Walid Mattar l’a sans doute anticipé. En offrant des vacances en Tunisie à ses protagonistes français et en jouant sur des imageries ancrées dans les réalités locales, il rétablit une vérité : la misère est toujours plus pénible au soleil.
Au-delà de l’unité fictionnelle, le film présente deux histoires situées, qui se répondent sans se confondre. Rythmé par les va-et-vient des cargos dans une Méditerranée à la fois mer nourricière et avaleuse d’enfants, « Vent du Nord » souffle sur le grand Sud. Mieux encore, il évacue avec intelligence le discours national-populiste qui vise à diaboliser les travailleurs étrangers en posant une véritable réflexion sur les délocalisations industrielles.
La sobriété des jeux d’acteurs souligne l’habileté du cinéaste à donner à voir plutôt qu’à argumenter. Évitant les bavardages misérabilistes et les lourdeurs didactiques, le récit se déploie avec sensibilité.
Sans verser dans l’humanisme béat, « Vent du Nord » porte un regard rafraichissant sur deux frères de condition. Un film qui fait sens, en ces temps de casse sociale de part et d’autre de la Méditerranée.
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