« Until the end of time », un mausolée pour nos amours

Premier long métrage de la cinéaste algérienne Yasmine Chouikh, Until the end of time (Jusqu’à la fin des temps), a décroché le Annab d’Or au Festival d’Annaba du Film Méditerranéen, le Khindjar d’or du Festival International du Film de Mascate ainsi que l’Alhambra d’argent au Festival du Cinéma de Grenade. Projeté en avant-première à l’Institut du Monde Arabe pour sa sortie française, le film tisse une métaphore universelle depuis un mausolée mostaganemois.

A Sidi Boulekbour, saint patron des tombes, les villageois vivent au rythme des croque-morts et du qu’en dira-t-on. Dans cette bourgade du far west algérien célébrée pour son tourisme maraboutique, la saison du pèlerinage a des allures d’enterrement de vie de jeune fille. Chants, diners, processions, le malheur des uns fait manifestement le bonheur des autres.

Les navettes sont assurées par des bus qui déversent des familles entières venues se recueillir auprès de leurs défunts. C’est ici que débarque Joher (Djamila Arras), veuve sexagénaire qui porte le deuil de sa sœur victime de violences conjugales. Décidée à organiser ses propres obsèques pour reposer à ses côtés, Joher sollicite l’aide d’Ali (Djilali Boudjamaa), fossoyeur de son état et gardien des lieux. Peu à peu, le cimetière se transforme en entracte amoureux pour vieux adolescents.

Les soupçons des voisins vont bon train. Pour seule réponse, une magnifique scène du couple traversant les champs sur une motocyclette avec en fond « Ana l’arbi » de Cheb Khaled.

A mi-chemin entre le vaudeville et le mélodrame, Jusqu’à la fin des temps emprunte les codes du théâtre pour donner le meilleur du cinéma. C’est que Yasmine Chouikh sait prendre son temps. Lentement, elle installe son univers à la marge du prévisible et à l’abri du symbolique. Là où beaucoup de réalisateurs maghrébins cèdent à la tentation démonstrative, en usant et abusant de références qui saturent l’énoncé, Chouikh privilégie la fiction et y distille du rêve. En sortant des sentiers battus, le film nous offre un nouvel espace imaginaire, et une bouffée d’air frais.

Le spectateur se laisse complètement happer par un scénario audacieux et une esthétique léchée. Les paysages sont douloureusement lyriques, les cadavres exquis, l’imam plus que sympathique. Les personnages, tantôt familiers, tantôt singuliers, crèvent l’écran. Alors que l’ambitieux (et hilarant) Nabil se rêve en golden boy des pompes funèbres, Nassima, épaules dénudées et cheveux aux vents cultive sa fantaisie. Considérée à tort comme une femme de petite vertu alors qu’elle nourrit les voyageurs, elle n’a cure de sa mauvaise réputation : Djeloul, l’ouvrier-poète, n’a d’yeux que pour elle.

Au-delà du comique de situation, le film développe une critique fine de l’intolérance ordinaire qui tient nos vies en otage. Son dénouement prône une liberté totale, de celles qui nous imposent de nous défaire des huis clos de la mort et de l’amour. Avec un humour hautement sinistre mais jamais méchant, Until the end of time dépouille les faux-semblants pour réinjecter un sens de la fête. Un petit bijou donc, beau comme un raï sentimental.

 

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