Toute fine, de son vrai nom Zoulikha Tahar, est doctorante en mécanique des matériaux et artiste dans l’âme. Cette slameuse, vidéaste, écrivaine bilingue tente d’imposer l’art du slam et des mots dans la capitale du raï, Oran, où elle vit et étudie.
Devenue artiste engagée un peu malgré elle, face à son expérience quotidienne de la société algérienne dans ses travers et ses défauts, elle ressent le besoin cathartique de s’exprimer et multiplie les mediums d’expression pour dire sa souffrance mais aussi pour parler à sa société, tenter de l’apaiser, et trouver avec elle un terrain où tous les deux pourraient s’épanouir, loin de la violence latente qu’elle expérimente chaque jour dans l’espace public.
Un slam pour réveiller les consciences, une nouveauté dans le paysage expressif algérien.
La société comme souffrance
Ce qui marque lorsqu’on la découvre dans ses vidéos ou ses slams est que Toute Fine slame sur des sujets sérieux, profonds, parfois blessants, dérangeants, avec une voix « toute fine », fragile, anxieuse, parfois angoissée, chargée d’émotion et d’engagement, une voix qui réussit à ajouter aux mots la force qui leur manque parfois, à dire l’indicible.
« On crée parce qu’on a mal », lance Toute Fine lors de notre interview. Cette douleur transparait clairement tant dans sa voix que dans ses textes: la douleur sociale, morale et physique d’une femme qui vit dans une société violente et misogyne.
La société algérienne est un leitmotiv omniprésent dans sa production artistique, une société dans ses travers et ses défauts, ses incohérences et ses vices, une société dans sa réalité la plus crue et la plus honnête, tout comme la voix de Toute Fine.
Ce que l’on ressent chez elle, c’est un besoin d’expression, une nécessité vitale de dire sa souffrance, de parler de ce qui la traverse et qui la nourrit, de mettre la société face à ses problèmes, à ses incohérences, mais aussi une volonté de parler à la société, de la comprendre, de la convaincre, de la soigner. Finalement, cette société souffre autant que notre artiste. Le bourreau et la victime finissent par se confondre.
Le slam vient combler cette soif d’expression. Par les textes et l’image, Toute fine tente d’apaiser les cœurs et de nourrir les esprits, afin de les toucher – beaucoup, de les changer – un peu.
L’engagement artistique
Néanmoins, loin du défaitisme aveugle, Toute Fine est pleine d’optimisme et d’engagement. Elle est animée par une soif de changement. « La mère est une école » nous dit-elle. Cette dernière est un pilier du changement de mentalités puisqu’elle inculque les valeurs qui peuvent faire d’une société un environnement sain et apaisé. A coté de l’enseignement maternel, elle insiste sur l’importance du travail sur soi pour arriver à une société « plus saine ». En d’autres termes, de la responsabilité de chacun dans la definition de la société comme réalité concrète.
Loin des idéologies et des engagements partisans, Toute Fine ne défend aucun étendard, aucune maison, aucun drapeau. Elle partage seulement son vécu et ses sentiments, son art et son esthétique propre, et cela apporte un vent de sincérité et de candeur à l’art algérien.
Ce qui est agréable chez elle, c’est particulièrement sa finesse dans sa dénonciation. Il n’y a pas de violences ou d’aigreur, de reproches ou d’attaques dans ses mots. Sa douleur se traduit en sonorité harmonieuse, sans tomber dans la violence des mots et des mélodies.
Dans sa collaboration avec EL-3OU, elle s’attaque – sur une mélodie douce et dans un slam mixant dialecte algérien et passage en français – à la structure familiale, au patriarcat, à la violence de l’espace public, mais aussi à la difficulté d’être une femme dans l’espace public algérien.
Le voile à contre-pied des symboles
Brouillant les codes, cette doctorante en mécanique des matériaux, qui porte le voile, refuse les clichés et les cases dans lesquels les gens aiment classer les autres. Ni revendication identitaire, ni symbole religieux proclamé, Toute Fine aime considérer le voile comme un medium d’expression, un message fort, une façon de jouer avec l’identité, les traditions, comme objet esthétique à part entière. En d’autres termes, elle a fait du voile une arme à son arsenal, une arme d’expression et de jeu. A contre-pied des clichés et des préjugés, elle reprend un vêtement devenu dominant dans l’espace public pour s’amuser et montrer sa singularité. Finalement, c’est un peu cela la démarche artistique de Toute Fine, prendre sa souffrance et les travers de sa société, pour en faire des armes douces et fines dirigées vers la société.
Toucher les autres, l’amour et la violence
Écrivaine à l’origine, elle se tourne très vite vers le slam et la vidéo, jugeant qu’à l’heure du numérique et du tout-multimédia, les gens consomment la culture comme au fast-food, avec beaucoup plus de fainéantise. Un texte, nous dit-elle, demande de la concentration et du temps. Un slam, lui, s’écoute en quelques minutes, en fond, sur son ordinateur, pendant qu’on chatte. Une vidéo capture l’attention, l’image intéresse – plus que les lettres.
Son but premier, c’est de parler à sa société, l’atteindre, la faire réagir, réfléchir, créer un lien intime et sentimental que l’espace public physique refuse de lui accorder. Lorsqu’on lui demande pourquoi elle a ressenti le besoin de faire de l’art, elle nous répond spontanément « pour toucher les gens », peut-être une façon de tourner la violence de l’espace publique en amour de l’autre et de soi.
Si vous souhaitez découvrir son univers, et tourner un peu de violence en amour, dirigez-vous vers Raji Concept Store à Alger où Toute Fine expose ses photos ou sur son compte Instagram.