Tamer Abu Ghazaleh, le caméléon de la musique arabe

Séjournant quelques jours à Beyrouth avant de s’envoler à Paris pour le festival Palest IN & OUT,  l’incontournable Tamer Abu Ghazaleh nous accorde quelques minutes.

Par son seul parcours, Tamer est un bel exemple des échanges culturels à l’intérieur du « monde arabe ». Né au Caire, de parents palestiniens, Tamer s’éprend de musique par une série de coïncidences. Dès son plus jeune âge, il se trouve immergé dans les ambiances des chorales palestiniennes auxquelles ils se rend avec sa mère. Curieux, il ne peut se contenter du chant pour abreuver sa passion musicale et se met à apprendre à jouer au oud (luth) et au buzuq.

A l’âge de 15 ans, Tamer compose sa propre musique et écrit des textes engagés qui s’imprègnent de l’environnement dans lequel il grandit.  Marqué par les effluves de la révolte de la seconde Intifada, son second album en ressort  très fortement imbibé. Après Janayen el Ghona (Les jardins musicaux), sorti en 2001, Mir’ah (2006) regroupe sept titres véhéments et fougueux, sculptés dans la solitude des couvre-feux et la violence de la répression.

Un palestinien au Caire

« Ma vie au Caire a sans doute influencé mes textes sur la Palestine », nous confie-t-il. Pour lui, la composition ne faisait pas que transcrire une douleur, c’était une manifestation de son soutien à la cause palestinienne. L’album  traduit ainsi  la tension de cette période qui a secoué toute la région de ferveur, d’espoir mais aussi de désillusion.

Au confluent de plusieurs mondes, Tamer devient alors l’ambassadeur d’une culture commune qu’il fait circuler par sa musique.  Interrogé sur la question, il nous confie ne pas en avoir fait un combat toujours réfléchi.

Tamer a grandi dans un environnement où les notes de oud et les sama’yiat faisaient partie de son quotidien. En étudiant la musique à l’université, il s’est ensuite enrichi de la profondeur musicale des années 20, 30 et de l’âge d’or arabe. Dès lors, sa soif de connaissance n’a plus aucune limitation géographique, il boit des notes de jazz en découvrant la musique irakienne, indienne et des quatre coins du monde.

Sur scène, Tamer est ensorcelant.  Il passe d’un registre à l’autre.  Tantôt ses chansons débordent de sensibilité, tantôt on les sent suinter de sarcasme et d’ironie.  Qu’elles soient posées, profondes et réfléchies, ou profondément cyniques, les chansons de Tamer Abu Ghazaleh témoignent toutes de son culte de l’esthétisme et de son amour pour les textes.

« Parfois, j’ai de la musique qui tourne sans interruption dans ma tête… Composer, c’est une sorte de combat effréné pour rattraper les notes au vol, avant que mon cerveau ne zappe d’une idée à l’autre. »

Quand il n’écrit pas ses propres textes, Tamer puise dans le large répertoire de la poésie arabe pour arroser sa musique. Dans toutes ses collaborations, il fonctionne au coup de cœur et aime mélanger les univers musicaux entre eux.

L’innovateur

Friand de rencontres et d’interactions, Tamer remarque très vite à quel point le tissu artistique du monde arabe manque de structure, de boîtes de production et de distribution mais aussi de médias qui le promeuvent. Lui, qui se destinait à une carrière purement artistique, se métamorphose en créateur de projets et travaille sur l’intégration régionale du secteur artistique.  Cet engagement se reflète à la fois sur le plan organisationnel qu’artistique.  En 2007, il crée Eka3, organisation indépendante dédiée à la création et à l’autonomisation de l’infrastructure de marché nécessaire au développement de la musique arabe  indépendante, dans un écosystème durable et solidaire.

Sur le plan artistique, Tamer commence par collaborer avec de nombreux artistes palestiniens et égyptiens comme Huda Asfour; Rabea Jubran et Salam Yousry. Au fur et à mesure que son activité s’étend vers la Jordanie, le Liban et la Tunisie,  les projets abondent et mêlent des univers de plus en plus éclectiques.  En 2010, il compose la musique de Thawret Ala’ (La révolution de l’anxiété), de concert avec le libanais Zeid Hamdan, le jordanien Mahmoud Radaideh et l’égyptienne Donia Massoud. En 2011, c’est le groupe KazaMada qui naît sous son impulsion. Enfin, en 2012, il fonde Alif, groupe de musique alternative au sein duquel il se produit avec MauriceLouca et Khyam Allami.

Si sa carrière solo avait été mise de côté pour un temps, Tamer nous revient avec un troisième album, Thuluth, qui sera officiellement lancé après son concert au festival île de France pour le plaisir de nos oreilles.