Une sérénité déconcertante. C’est ce qui frappe lorsqu’on regarde les photos de Syrian Eyes of the World pour la première fois.
Pourtant sobres et dépouillées, les photographies des artistes sont pleines de tendresse et de sensibilité. Au gré des sourires, tantôt gênés tantôt expansifs ; et des regards où brille une vive lueur d’espoir, on découvre des personnalités qui reconstituent la mosaïque syrienne d’aujourd’hui : fière, drôle et créative.
A la recherche du lien perdu
Le 15 mars dernier, le projet Syrian eyes of the world fêtait son premier anniversaire. Ce projet collaboratif imaginé par Youssef Shoufan pour La Maison de la Syrie rassemble des portraits de la diaspora syrienne pris par des photographes eux même d’origine syrienne.
De Damas à Montréal en passant par Beirut, Shatila, Istanbul, Yerevan et New York, ces photographies qui nous parviennent des quatre coins du monde s’accompagnent de phrases qui traduisent l’état d’esprit des personnes photographiées et réussissent le pari de capturer leur individualité.
En invitant chaque personne à s’exprimer sur son lien avec le pays en quelques mots, le projet rend hommage à la diversité des visages de la Syrie tout en faisant émerger les contours d’une identité patriotique commune. On y retrouve des hommes et des femmes, célèbres et inconnus, d’âges différents, de catégories socio-professionnelles variées et de confessions diverses mais tous unis par ce lien indéfectible qui les relie à leurs racines.
Drôles, déroutantes, décalées ou attendrissantes, les photographies prises par Madonna Adib, Zaki Alasmar, Ziad Alasmar, Khaled AlWaera, Antoine Entabi, Maria Kedikian, Nour Nouralla et Youssef Shoufan sont elles mêmes une mosaïque de leurs sensibilités créatives et reflètent une interprétation personnelle de leur « syrianité ».
Immortalisée devant les calligraphies de Yazan, la photographie de Rita Adib est un exemple qui marque, de par la finesse de sa symbolique artistique. Par un subtil jeu de miroirs, l’art s’incarne aussi bien derrière la jeune artiste que dans l’objectif du photographe et à travers la citation de la chanteuse libanaise Fairouz qu’elle a choisi de détourner.
Rêver. Ce leitmotiv revient nonchalamment dans chacune des photos, qu’il soit écrit noir sur blanc ou qu’il se lise dans les regards des photographiés. Cet onirisme assumé qui jalonne l’assemblage n’est pas sans rappeler l’objectif du projet de Youssef Shoufan : transcender les frontières physiques et psychiques pour recoller les morceaux d’une Syrie à feu et à sang.
L’autre visage de la Syrie
Cependant, au-delà de cette dimension communautaire, Syrian eyes of the world a une réelle portée philosophique.
En effet, la guerre civile qui ravage la Syrie aujourd’hui est de fait associée à toutes les représentations mentales que l’on se fait du pays. La guerre en Syrie est le plus souvent évoquée par l’entremise d’une macabre énumération de décès et d’un déferlement de pathos en images. Ce traitement médiatique qui se situe dans le registre de l’immédiateté revêt la forme d’une empathie première qui reste vide de pensée et d’action.
C’est donc avec la volonté d’élargir le spectre des représentations de la Syrie que Youssef Shoufan a conçu le projet. En donnant une voix et un visage aux Syriens de par le monde, le projet photographique défie la guerre et ses représentations et vise à réhabiliter la mémoire d’un pays en morcellement identitaire.
Une mosaïque dans la mosaïque
Au sein de cet assemblage de visages en noir et blanc, une photo ressort, éclatante de couleurs et d’énergie. Cette photographie multicolore qui attire l’œil tant elle tranche avec la sobriété des portraits résume à elle seule l’objectif de Syrian eyes of the world . On y voit les artistes syriens qui ont remporté le record Guiness de la plus grande peinture entièrement faite à partir d’objets recyclés et on peut lire leur échange avec le photographe Zaki Alasmar.
Roues de bicyclettes, ustensiles de cuisine, canettes, miroirs et céramiques : tous ces éléments soigneusement juxtaposés forment une oeuvre d’art où chaque objet ramassé a lui même une histoire. Cette histoire, c’est la guerre, le sang et les larmes; mais c’est aussi la force vitale de l’humanité, sa capacité à créer à partir de la destruction et à continuer à vivre.
Ainsi, les deux projets artistiques puisent-ils tous deux leur sens métaphorique dans la reconstitution, visage par visage, objet par objet, touche par touche, de la mosaïque identitaire syrienne.
Superbe article Hajar, empreint d’une bonne analyse, d’une grande sensibilité et surtout, d’une belle plume.
C’est définitivement très encourageant pour notre projet de lire ces mots.