Souad Mani, ego 2.0

Sousse, ville portuaire de l’Est de la Tunisie, tristement rendue célèbre en juin dernier, après l’attentat revendiqué par l’Etat islamique qui à coûté la vie à 39 personnes. Sousse, c’est aussi la ville de Souad Mani : elle y habite et exerce à l’école des Beaux-Arts. À 37 ans, cheveux châtains et sourire doux, Souad est une artiste accomplie et multi-casquette. « J’ai commencé par la peinture et actuellement je fais de la photographie, de la vidéo, de l’installation et des performances web art » dit-elle. Ce côté touche à tout, Shiva, Souad l’explique par le fait que sa « pratique s’adapte selon les nécessités plastiques ».

Le web, un certain don d’ubiquité

Dans son travail, Souad souhaite scruter « les différentes modalités du réel ». Un réel qu’elle examine actuellement par le prisme du numérique. Pour elle, le web, ça vous procure un certain don d’ubiquité: vous êtes à un endroit, connecté avec quelqu’un qui peut être situé à cent mètres, derrière chez vous, comme à des centaines de kilomètres de votre douillet appartement. « Le web me permet aussi d’être ici et ailleurs en même temps. la proximité avec le monde est l’une des propriétés du web qui m’aide à interroger ma pratique ».

« Souvenirs du présent » from souad mani on Vimeo.

Le numérique, ce sont aussi ces selfies que l’on s’envoie à longueur de journées et qui inondent les réseaux sociaux, de New-York à Tokyo. Pour Souad, on peut y voir une sorte d’« archivage de soi », une manière de capturer sa propre image, de la fixer. Un de ses projets, c’est d’ailleurs d’envahir, de « polliniser » l’univers par ses propres selfies. Elle y voit un moyen parmi d’autres de chercher de l’altérité. « Je tente, par cette démarche, de nouer des relations multiples et variés avec le dehors ». Et son travail ne s’arrête pas là. Son projet, c’est de cartographier, « de tracer la géographie » de ces selfies, et de ce qu’ils deviennent. « Je tente de voir aussi à quelle mesure ce portrait de soi est capable de devenir un monde » dit-elle.

« Mon téléphone ou ma tablette sont devenus des ateliers mobiles »

En 2010, sa recherche d’altérité la mène à Gafsa, au sud de la Tunisie. Tous les jours, elle relie Sousse à Gafsa en voiture, trajet qu’elle fera pendant 4 ans. Ces allers-retours, elle les fixe avec son appareil photo, son smartphone ou sa tablette. « Mon téléphone ou ma tablette sont devenus des ateliers mobiles. Mon outil est devenu mon habitat. ». Aujourd’hui, Souad ne fait plus le déplacement quotidiennement, mais Gafsa continue de l’intéresser. Elle y a déjà un nouveau projet en gestation: il se fera sur 3 ans, et sera consacré à la ville et à son territoire. « Je travaillerai autour de la problématique des eaux à Gafsa, en rapport avec l’industrie du phosphate ». La ville est, en effet, connue pour son minerais, qui fait de la Compagnie des phosphates de Gafsa, gérant ce business, la 5ème entreprise mondiale du secteur, avec 5 millions de tonnes produites chaque année.

Le futur, pour Souad, ce sera évidemment le numérique. Alors qu’elle participe actuellement à l’exposition Traces… Fragments d’une Tunisie contemporaine au Mucem de Marseille, elle prépare activement une exposition pour l’Institut français de Tunis. Son nom? Tunisie numérique, tout simplement.

Leurre liquide (installation sonore aux piscines romaines de Gafsa)

Leurre liquide (installation sonore aux piscines romaines de Gafsa) © Souad Mani

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