Sharif Sehnaoui se saisit d’une guitare comme d’un qânoon, une fois l’instrument renversé sa main effleure et pince ses cordes produisant un effet sonore jusqu’ici inconnu. Grâce à son approche unique et ingénieuse de la musique, Sharif a su insuffler au Liban une dimension expérimentale des sons.
L’improvisation, un élargissement du champ des possibles
Quand Sharif arrive en France pour poursuivre ses études, le Liban sort à peine d’une guerre civile qui a embrasé le pays. Lorsqu’il découvre Paris, sa joie de vivre, ses concerts et ses fêtes innombrables, il est tout de suite conquis et se dédie à l’apprentissage du Jazz. De découverte en découverte, sa passion finira par l’occuper à plein temps et ses affinités musicales se trouvent orientées vers des choix plus pointus.
Il se surprend lui même à avoir plus d’exigence et se passionne pour les langages musicaux qui lui élargissent le champ des possibles. Sharif compose, cherche, expérimente et s’émerveille en découvrant les non-limites de la création.
Rapidement, la volonté de transmettre ses apprentissages et celle de voir son pays s’ouvrir à de nouvelles manifestations culturelles s’imposent. Avec Mazen Kerbaj, son ami illustrateur, ils constitueront un duo de choc prêt à relever le défi de créer le premier festival de musique improvisée du monde arabe. Tous deux, ils oseront une programmation décalée qui bouscule les habitudes du public libanais et feront croitre ce rêve grâce à l’aide du troisième mousquetaire et joueur de contrebasse et platines, Raid Yassine.
Irtijal, un festival pas comme les autres
Le festival Irtijal nait en 2000, et il faut dire que le contexte de création était tout sauf favorable à ce type de célébrations. Le niveau musical libanais se cherchait encore, le public avait une totale méconnaissance de ce genre de pratiques musicales expérimentales et le budget accordé à l’évènement était ridicule. Avant de renverser la situation, Sharif se souvient encore de son malaise à chaque fois qu’un groupe du public quitte la salle aux éditions précédentes.
Petit à petit, la petite organisation a appris à se professionnaliser et la fine équipe a acquiert une solide expérience qui lui permet d’organiser annuellement un festival animant toute la ville, avec un financement solide qui permet de proposer à un public désormais fidèle, une sélection d’artistes internationaux.
Après un focus sur la scène suisse à l’édition précédente, Beyrouth se fera hôte des Berlinois pour l’année 2016.
Les labels de musique
Le voyage dans l’univers du jazz contemporain et des musiques expérimentales que permet Irtijal se poursuit désormais à travers des productions de deux nouveaux labels de musique. Produire et éditer des projets qui n’auraient pas facilement trouvé preneurs a été à nouveau le pari risqué de Sharif.
En 2005, Almaslakh s’oriente vers de la musique acoustique instrumentale et de free-jazz qui sont dans une tentative de geste d’improvisation et incorpore de l’électro-noise pour proposer des expériences sonores uniques. Des sous-sélections expérimentales de blues et de rock peu communes viennent aussi élargir le catalogue. En 2009, le label Annihaya vient élargir la famille et défend une philosophie du recyclage de formes de musiques populaires et de transformations d’idées préexistantes. Plusieurs artistes signeront pour des éditions limitées sous ces labels qui ne cessent de se renouveler.
Sharif a ainsi confirmé ses talents de gestionnaire parallèlement à sa carrière de musicien qui lui a permis de nombreuses rencontres. Après avoir partagé la scène de Alan Bishop, de John Butcher, ou encore celle de Michael Zerang, Sharif sort récemment d’une résidence d’artistes qui a abouti à la création du nouveau projet ambitieux : Karkhana.
Psychedeloun mare nostrum
Ce terme turc, très peu utilisé, mais néanmoins existant dans la langue arabe peut être entendu comme « bordel ». Un espace de liberté finalement ou les interdictions tournent aux plaisirs. Non officielles, mais libres, telles est a nature des pratiques musicales du groupe qui fusionne inhabituellement les traditions musicales de trois pays du sud de la méditerranée où les scènes expérimentales sont les plus développées.
Karkhana, est ainsi la rencontre fascinante de musiciens d’Égypte, de Turquie et du Liban qui osent bousculer les codes et les univers sonores qu’on attend d’eux. Pour surprendre par des performances qui mêlent le cosmopolitisme auditif beyrouthin au châabi égyptien actuel tout en étant dans le respect des influences anatoliennes et de la beauté des maqâms.
Sharif Sehnaoui joue ainsi aux côtés d’autres prodiges de ses scènes musicales contemporaines : Sam Shalabi, Maurice Louca, Umut Çağlar, Tony Elieh et Özün Usta, aussi bon à écouter en solo qu’ensemble.