Alors que nous commençons tout juste à nous familiariser avec la ville d’Alger et ses habitants, nous devons la quitter cinq jours après notre venue, afin de rejoindre notre avant-dernière destination : Constantine. Nous emportons cependant un petit bout d’Alger avec nous, en la personne de Sneak, graffeur algérois qui visite aussi Constantine pour la première fois.
Sneak est accompagné de Splntr, un autre graffeur avec lequel il entretient une relation artistique fusionnelle et qui était avec lui dans la capitale pour quelques jours. Nous nous retrouvons donc tous ensemble à l’aéroport d’Alger pour un vol interne, dont le retard ne nous étonne plus vraiment maintenant.
Arrivés dans la ville qui a été élue capitale arabe de la culture en 2015, nous avons encore affaire à des rues désertes à 22h. La décennie noire est aussi passée par là. Au fil des conversations avec les algériens, nous comprenons mieux pourquoi Oran nous a semblé singulièrement animée alors qu’Alger et Constantine sont plus sécurisées et frileuses. Moins touchée par la recrudescence du terrorisme islamiste des années 90, Oran est restée relativement protégée par les attentats répétés qui sévissaient à l’époque et ceci explique que ses habitants prennent plus de liberté dans leur manière de vivre.
Ce qui nous frappe cependant à Constantine en arrivant, c’est que la ville est particulièrement propre et ses bâtiments semblent s’être préparés à accueillir les nombreuses manifestations culturelles inscrites dans le cadre du programme « Capitale arabe de la culture ».
Constantine est également la première vile que nous visitons à avoir conservé la Casbah comme centre-ville. En effet, « dans la plupart des villes maghrébines, la colonisation a créé une ville européenne juxtaposée à la médina. Mais, à Constantine, le projet de ville nouvelle n’a pas abouti. Le centre des affaires est alors resté solidement attaché à la médina : activités traditionnelles dans les rues anciennes et activités modernes dans les rues coloniales. De ce fait le Rocher est une des rares médinas maghrébines à avoir conservé sa fonction de centre-ville« .[1]
C’est sous le soleil que nous la visitons le lendemain. Les dimensions du centre-ville le permettant, nous allons du carrefour central au Palais du bey, en passant par les nombreuses boutiques de textile et les bijouteries.
Ce palais, construit en 1826 par Ahmed Bey, est la trace vivante de la civilisation ottomane dans la ville de Constantine. En y accédant ce jour-là, nos sentiments sont contrastés. L’édifice, imposant par ses portiques, ses marbres et ses colonnes, donne cependant l’impression d’avoir été construit à partir d’un pot pourri d’influences peu harmonieux.
Après une rapide recherche, nous découvrons l’histoire troublante de ce palais, dont chaque pièce raconte une histoire.
Ahmed Bey n’hésita pas à utiliser des matériaux de toutes provenances. Les colonnes et autres pièces de marbre furent achetées en Italie et transportées, par l’entremise du Génois Schiaffino, de Livourne à Bône, où les attendaient des caravanes de muletiers et de chameliers.
« Le bois de cèdre fut demandé aux tribus de l’Aurès et de la Kabylie. Les pierres de taille furent prélevées sur les ruines de l’antique Cirta. Cela ne suffit pas, et le bey réquisitionna tout ce que les principales habitations de Constantine possédaient de remarquable comme marbres, colonnes, faïences, portes et fenêtres. Le palais devint ainsi comme un musée des pièces les plus curieuses et les plus riches de la menuiserie et de la sculpture. » [2]
Nos flâneries se poursuivront ensuite au bord des nombreux ponts de la ville, offrant une ville imprenable sur des habitations qui essaiment sur des roches noires et semblent au bord du précipice. Au fur et à mesure que nous voyageons à l’est, le dialecte devient de plus en plus éloigné de la darija marocaine et nous devons davantage prêter l’oreille pour en comprendre les phrases. A Constantine, la population reste cependant compréhensible et les regards moins agressifs qu’à Alger. Paisible et accueillante, Constantine est renommée pour le malouf, version constantinoise de la musique arabo-andalouse et charrie une histoire millénaire. Notre ressenti est qu’elle reste néanmoins sage et policée, avec une culture qui relève beaucoup de l’officiel.
Ce jour-là, nous avons rendez-vous avec Naim Khelifa, Sneak, et Splntr pour habiller de tag l’espace du nouveau magazine Rahba. Les couleurs se mélangent, les pots se vident et les âmes se connectent. Tout au long de l’après midi, les deux graffeurs échauffent leurs esprits sur fond d’un rap des quatre coins du monde. Une fois l’inspiration suffisamment agitée, un silence processionnel envahit la salle. Seuls les pinceaux s’expriment. La nuit est tombée sur la ville et, de la fenêtre, on voit les deux tours incandescentes de la mosquée de l’Emir Abdelkader briller au loin.
Alors que nous trépignons d’impatience de voir le résultat final de l’œuvre de Sneak et Splinter, nous rejoignons Malik Chaoui pour dîner et nous réservons la surprise pour la fin de la soirée. L’acteur culturel, organisateur du Dj’art, nous parle de sa volonté de faire converger les ondes culturelles qui traversent le pays par l’entremise du festival annuel. Fruit d’un mélange entre Djazair et art ainsi qu’un clin d’œil à la notion de « jar » (voisin en arabe ), le Dj’art est un événement culturel pluridisciplinaire algérois, organisé par Trans-Cultural Dialogues l’année dernière. Sneak et Splntr nous avaient d’ailleurs expliqué que leur rencontre physique s’était faite à l’occasion de ce festival même, preuve en est que la scène alternative algérienne n’attend que d’être connectée, soutenue et encadrée par des événements du même genre. Habité par la fougue et l’envie de transmettre la culture, Malik nous explique qu’un des principes fondateurs de Evènement est son indépendance, à laquelle il tient beaucoup et nous confie être en train de travailler sur l’édition à venir.
Rassasiés et conquis par cet enthousiasme communicatif, nous rejoignons ensuite l’équipe de graffeurs pour constater le résultat final et ne pouvons retenir les exclamations approbatrices en arrivant sur place. Cette belle soirée se conclura donc par une œuvre artistique aux couleurs bleues et dorées qui entourera une belle discussion autour du projet et ses objectifs.
- [1] MarcCôte, « Constantine », Encyclopédie berbère, no 14, 1994, 2069-2081 (lire en ligne)
- [2] Source : http://www.constantine-hier-aujourdhui.fr/LaVille/palaisdubey.htm