[RIHLA 2.0 : RÉCIT CROISÉ] – JORDANIE – JOUR 33

Nous quittons le désert de Rum avec un sentiment de légèreté voluptueux. Sous le soleil de ce grand canyon, nous avons marché des heures durant entre les montagnes rocheuses et les petites herbes farouches. En ce mois de décembre, les nuits peuvent être très froides.

Nous sommes arrivés la veille après un parcours touristique dans la grande cité pourpre de Petra. Le parcours archéologique fascinant et la découverte de l’histoire des anciennes tribus originaires de la péninsule arabique nous a occupés toute la journée. Après cette introduction aux vestiges nabatéens, nous avons rejoint Atallah et ses amis à Wadi Rum. Assis autour d’un feu, nous y jetions de temps à autre des bouts de bois ou y soufflions pour raviver les flammes.

Amman - © Mehdi Drissi

Amman – © Mehdi Drissi

Cette même source de chaleur permettait de préparer le thé pour l’ensemble des présents. Il y’avait Joe qui, en retraite ici depuis deux mois, revenait d’Irak. Originaire du Texas, il parlait en marmonnant et je n’ai pu retenir que le fait qu’il entrainait des kurdes au port d’armes pour lutter contre ISIS. Ma curiosité s’arrêtait net et je me suis tourné vers le reste de la troupe. On y retrouvait Ahmed et Mohamed, venus de haute-Egypte. Installés au sud de la Jordanie pour trouver des emplois journaliers, ils aidaient à présent Abdallah, cousin d’Attallah et nouveau marié, à construire son nid conjugal.

Wadi Rum © Oumayma Ajarrai

Wadi Rum © Oumayma Ajarrai

De la sauge et du gingembre venaient aromatiser le breuvage sucré qu’on entendait bouillir. Nous ressentons les doux effluves de cette succulente boisson en rapprochant les verres en carton à notre nez. La dégustation dura des heures, je roulais ma langue contre le palais pour savourer toute la douceur de cet élixir. Son goût sucré, son parfum chaud et délicat ainsi que ses tonalités réchauffaient le corps et le cœur.

L’expérience du désert en compagnie de bédouins a cela d’unique de faire apprécier l’écoulement du temps. De laisser prendre, enfin, conscience de sa réelle existence et de le sentir se produire plutôt qu’il ne s’échappe. A chaque gorgée de thé versé, une suavité se laissait humer et le spectacle qu’offrait chaque goûte déversée dans le fond du verre nous absorbait. Le feu de camp dura toute la soirée où nous nous sommes laissés bercer par le bruit des étincelles et du bouillonnement de l’eau.

Wadi Rum © Oumayma Ajarrai

Wadi Rum © Oumayma Ajarrai

Quand mes yeux trouvaient de plus en plus de mal à rester ouverts, le frère d’Atallah m’invita à monter dans la 4*4 pour aller à l’endroit où dormir. « C’est parti mon kiki ! », ces mots me réveillèrent d’un seul coup. Pendant le trajet, enchaina des formules, pour le moins drôles, en français et nous répétions en chœur « Frère Jacques » avant de tomber sur des refrains arabes appréciés par nous deux. Nous avançons à toute vitesse, secoués par de multiples roches, dans une obscurité totale. Après tout, il n’y avait pas d’obstacles que nous craignons. Après une vingtaine de minutes de conduite, nous voilà sous un ciel scintillant. Il me tendit un matelas et deux couettes pour endurer le froid hivernal du désert. Je lui souhaite bonne nuit, et monte en titubant la falaise pour blottir mon matelas entre les rochers. Frileuse, je décide de garder le manteau que m’a laissé Atallah, doublé d’une fourrure d’agneau, je pouvais enfin apprécier ma nuit à la belle étoile.

Réveillée par quelques notes de luth, je m’émerveille devant l’étendue, insoupçonnable la veille, qui s’offre à mes yeux. Dans l’immensité du vide et l’absence de toute animosité, je prenais entièrement conscience du moment présent et me sentais pleinement vivre.

L’esprit apaisé, je peux désormais, revenir, sereine, à la case de départ. La rihla m’aura appris, à travers ses rencontres et entre autres acquis, à relativiser.