Quelques jours passés à Amman et nous y avons déjà nos petites habitudes. J’ignore pourquoi, mais après quelques jours seulement, nous avons l’impression d’avoir été apprivoisés par les habitants de la capitale jordanienne.
Si la plupart de nos rendez-vous graviteront autour du petit cercle culturel en floraison de Jabal Webdeih, nous avons eu la chance d’avoir deux guides qui nous ont fait découvrir d’autres visages de la ville non sans nous laisser un souvenir impérissable.
Sur les traces de la calligraphie du centre ville
Nous rencontrons Ali Al Masri pour la première fois au pied des escaliers qui mènent de Jebel Webdeih au centre-ville. Le jeune homme nous y accueille avec un large sourire et nous invite à le rejoindre pour une visite de la capitale à pied, du centre-ville jusqu’au Jabal Amman.
Dans la descente, nous passons devant un barbier qu’Ali a justement aidé pour le développement de son identité visuelle en lui concevant un logo et en refaisant son insigne pour attirer les passants.
« En plus de refaire la pancarte, On a traduit le mot « Halaq » (coiffeur, en arabe) en allemand et en anglais alors que le coiffeur ne parle aucune de ces langues », nous lance Ali le sourire aux lèvres.
« Du coup les expatriés poussent souvent la porte de la boutique, avant de se rendre compte que le vocabulaire du coiffeur s’arrête aux basiques de la communication lui permettant d’exercer son métier. Cela crée des rencontres et de franches rigolades. », ajoute t-il en regardant la plaque en question.
Une fois descendues les marches qui mènent au cœur de Amman, nous arrivons dans un croisement de rue où se dressent de nombreux commerces. Face à nous, trois pâtisseries qui produisent la fameuse Kneffeh jordanienne, pâtisserie constituée de fromage et tantôt recouverte d’une croûte mielleuse, tantôt d’une pâte feuilletée saupoudrée de pistaches. À notre droite, se succèdent de nombreuses boutiques où les keffiehs côtoient les robes traditionnelles, brodées de couleurs chaudes sur un tissu noir. Alors que nous longeons les façades des petits commerces du centre-ville, Ali nous arrête brusquement et pointe du doigt un petit passage étriqué.
« C’est l’atelier où travaille le peintre avec qui je collabore pour refaire les enseignes des magasins », nous dit-il. Nous nous engouffrons alors dans une petite ruelle et arrivons dans une chambre où nous trouvons le fameux peintre Abd Jokhi occupé par ses commandes actuelles. Il nous salue de la tête avant de retourner à l’ouvrage.
Sur le chemin de la sortie, Ali nous explique que Abd Jokhi fait partie des rares artisans de la ville à concevoir des insignes pour les commerces en cultivant avec soin l’art de la calligraphie et le mariage des couleurs. À chaque fois que nous passons devant un commerce, nous nous mettons alors à traquer la petite signature au coin des plaques et très souvent, nous ne sommes que peu étonnés de voir les lettres de se détacher sur la plupart des fonds blancs.
Après une halte au restaurant Shams El Balad, notre visite se poursuit dans un des plus anciens bâtiments de la ville de Amman. Le diwan du duc Mamdouh Bisharat a en effet été construit en 1924 par Abdul Rahman Madi et avait été loué à l’émirat transjordanien pour être un office de poste jusqu’aux années quarante, avant de devenir ensuite un hôtel. Aujourd’hui, l’édifice est ouvert au public et reconstitue une sorte de musée de mobilier d’époque et de photos historiques de la famille royale jordanienne et ses figures de proue politiques.
C’est en effet à l’initiative de Mamdouh Bisharat, que le lieu s’est transformé en diwan ( terme arabe qui désigne la partie de la maison où les portes sont toujours ouvertes) en 2001, se transformant ainsi en cabinet de curiosités qui attire voyageurs, artistes et autres curieux. Si le bâtiment se visite comme un petit musée de souvenirs historiques poussiéreux, il incarne aussi la volonté de préserver l’héritage historique et archéologique jordanien, parfois menacé par une modernité aliénante. Amman est en effet l’une des plus vieilles villes du monde à être toujours habitée, le duc fait donc partie de ceux qui œuvrent pour préserver ce patrimoine historique et compte au rang de ses succès, la campagne d’Um Qais, ancienne ville romaine qu’il a sauvé de la disparition sous les pelles des constructions modernes des années 1970.
Conquise par l’univers du lieu, j’aurais pu y rester des heures durant, lisant de la poésie au rebord de la fenêtre donnant sur le centre ville. Mais notre visite de la ville se poursuit au vieux souk de Amman et nous porte ensuite dans un antiquaire situé au bout d’une galerie souterraine. La boutique ne paie pas de mine, mais c’est pourtant une vraie caverne d’Ali baba. On y trouve des objets de toute sorte entassés et recouverts d’une fine couche de poussière balayée par des traces de mains ici et là.
Après avoir arpenté les galeries et les étalages de fruits et de légumes, nous arrivons devant un grand cinéma désaffecté duquel se distinguent les figures iconiques de la culture arabe d’antan. Encore un bel immeuble qui se transformera bientôt en temple de la consommation. Sur le chemin de retour, nous passons cette fois-ci devant un vrai cinéma, qui lui est bien ouvert mais possède une programmation pour le moins…déroutante. Ali nous souffle en effet discrètement : « Ils ne projettent que des films pornographiques ici ». Pantois, nous lui faisons répéter deux fois. Nos oreilles ne nous avaient cependant pas trahis.
La visite est finie et le soleil s’est couché. Nous remercions Ali et rejoignons notre tanière à Jabal Webdeih. Notre répit sera de courte durée. Comme nous en avons un peu pris l’habitude cette semaine, dès la soirée commencée, c’est au tour de Mahmoud Raddaideh, leader du groupe JadaL de nous faire découvrir Amman.
Amman by night
Il arrive avec son stock de blagues, de réactions absurdes et sa hantise des bouchons. « Où voulez-vous aller aujourd’hui ? ». Mahmoud s’est habitué au silence processionnel qui suit cette question. Il meuble alors en proposant restaurants, cafés et autres lieux de sortie. Alors que la liste de suggestions se poursuit, nous nous perdons dans la ville en voiture, refaisant plusieurs fois le même chemin, au son des éclats de rire et des suggestions musicales successives. De Cheb Khaled au folkore Jordanien en passant par Hossam Hosny et Kyo, nos voix s’élèvent anarchiquement et résonnent dans la voiture. Après avoir tourné dans la ville jusqu’à ce que les lueurs des magasins s’éteignent les unes après les autres, nous nous asseyons quelques minutes à « Al Matal », hauteur qui offre un panorama radieux sur la ville d’Amman. Les lueurs blanches et jaunes scintillent au loin et le vert des minarets des mosquées de Hussein et Abu Darwich s’impose dans ce décor étoilé.
L’esthétisme ne pouvant cependant pas toujours rivaliser avec l’appel de la chaleur des couvertures, nous nous empressons de rejoindre la voiture pour regagner nos lits, emportant avec nous le vertige de cette ville au grand cœur.