Rencontre. Yazan Halwani, le calligraffeur de Beyrouth

C’est dans un français impeccable, teinté d’un soupçon d’intonation levantine  – on ne peut plus délicieuse à l’oreille –  que Yazan Halwani revient avec ONORIENT sur son parcours. À 20 ans, ce jeune artiste aux traits encore enfantins est déjà  l’un des graffeurs les plus célèbres du Liban. Depuis cinq ans, déjà il habille les murs de Beyrouth de calligraffiti, imposant une identité visuelle et esthétique reconnaissables au premier coup d’œil.

Le graffiti, de l’arme de guerre à l’art urbain

Au Liban, le recours au graffiti remonte à la guerre civile quand les partis politiques se servaient de pochoirs et de slogans pour « marquer » leur territoire. Dans un contexte d’affrontements communautaires, ce mode de communication endossait un véritable rôle public et balisait l’espace urbain en rendant les frontières visibles (la ville était alors scindée en deux parties, l’est chrétien  et l’ouest musulman). Arme de guerre muette pour les combattants libanais, syriens et palestiniens, ils informaient les passants de l’affiliation du quartier dans lequel ils pénétraient. Aujourd’hui encore, sur des murs criblés d’impacts de balles, ces images, telles les stigmates d’un passé que l’on voudrait oublier, demeurent.

Il faudra attendre les années 90, mais surtout la guerre d’Israël au Liban en 2006, pour voir éclore le graffiti en tant que forme d’expression artistique sur la scène publique. Né du besoin d’exprimer une pensée, une émotion ou une idée et de l’exposer au vu de tous, certains slogans, à l’instar de « بيروت ما بتموت » (Beyrouth ne meurt jamais) ou «بيروت إن حكت » (Si Beyrouth pouvait parler)  deviendront des références populaires. Le graffiti libanais, qui dans ses prémices, s’inspire largement de la création occidentale, s’émancipe peu à peu pour affirmer un style propre, notamment via le recours à la typographie arabe.

Un Robin des bois du graffiti 

C’est à 14 ans que Yazan découvre la culture hip-hop avec les groupes marseillais IAM et Fonky Family puis commence à taguer son nom sur les murs de la capitale. Ce qui semble un passe-temps d’adolescent va se transformer en vocation le jour où son oncle lui offre un livre sur la calligraphie. La découverte de cette tradition islamique, notamment le style kufi qui sied particulièrement au graffiti, devient désormais sa source principale d’inspiration. En cherchant sur internet, il tombe sur l’artiste Mohammed Ali (Aérosol Arabic), pionnier dans le domaine du street art proche-oriental ou encore sur le Tunisien El Seed qui l’influenceront dans sa quête esthétique mêlant tradition scripturale arabe et graffiti. « Au début, pour pouvoir acheter mes bombes, j’ai commencé à dessiner sur les murs des chambres de mes amis. Au fur et à mesure, le bouche à oreille  faisait son chemin et j’ai même fini par avoir un portfolio. Avec ce que je gagnais en peignant sur les murs des riches, je pouvais acheter des bombes pour peindre sur les murs pauvres de la ville, un peu comme un Robin des Bois du graffiti. »

Dans un pays où l’espace public est constamment sous pression par l’omniprésence de l’affichage sauvage de la part des politiciens, où les appétits voraces des promoteurs immobiliers menacent chaque jour un peu plus le patrimoine architectural, où les trottoirs sont pris d’assaut pour garer les voitures, le vandalisme est une plaie quotidienne. « Tout le monde vandalise la ville alors j’en suis venu à me dire qu’à Beyrouth, être politiquement incorrect c’est en réalité faire du vandalisme en essayant d’embellir les choses. Et c’est ce que je tente de faire. »

Le message et la solution

Yazan est donc un artiste engagé qui, au-delà du message porté par ses œuvres, essaie de proposer une solution. Une des ses peintures murales les plus imposantes est le portrait d’Ali Abdallah, un SDF bien connu de Bliss Street dans le quartier de Hamra. Mort de froid durant l’hiver 2013, son décès avait profondément attristé les habitants et les étudiants de l’Université américaine de Beyrouth qui avaient l’habitude de croiser ce personnage emblématique.

« Devant les initiatives personnelles qui ont fleuri après cet événement tragique, mais qui sont retombées tout aussi rapidement, j’ai voulu marquer le coup. Tout d’abord il s’agissait de célébrer la mémoire de cet homme que tout le monde connaissait et appréciait en le gardant vivant sur les murs de Beyrouth. Mais l’idée était aussi de vouloir alerter les passants sur le sort des sans domicile fixe en disant qu’il ne fallait pas attendre la mort d’un autre Ali pour se mobiliser. Son portrait que j’ai associé à la phrase Ghadan Yawm Afdal (Demain est un jour meilleur, chanson du groupe Mashrou’ Leila) a tout de suite reçu beaucoup d’échos positifs. » Et comme de la réaction à l’action il n’y a qu’un pas, Yazan pris aussi l’initiative de lancer un site internet permettant de géolocaliser des SDF dans Beyrouth afin leur apporter nourriture et couvertures.

Je ne veux pas lier graffiti et argent

Du haut de ses 20 ans, Yazan reste modeste et garde la tête sur les épaules. Étudiant depuis trois ans en ingénierie à l’AUB, il a choisi la voie de la sécurité aussi parce qu’il entend rester indépendant et souhaite préserver son art : « Pour moi le graffiti n’est pas un métier. Car dès que tu fais de l’art ton unique source de revenus, ta motivation première devient l’argent. Je tiens à garder le graffiti comme un moyen d’expression libre, je ne  veux pas être tenté de faire quelque chose qui plaise pour coller à la demande et le vendre plus facilement. »

À ceux qui le critiquent car il répond favorablement lorsqu’il est sollicité par des galeries, il explique tout simplement : « Travailler pour des commandes me permet de m’améliorer.  Quand vous peignez dans la rue et ratez votre graff, personne ne vous dira rien. En revanche, quand quelqu’un paie pour une œuvre particulière, il s’attend à quelque chose d’irréprochable techniquement. Cette rigueur est bénéfique et m’aide à progresser. Avec l’argent que je gagne, je peux ainsi continuer à acheter du matériel et graffer sur les murs de la ville. »

Des icônes qui rassemblent tous les Libanais

Depuis 18 mois, Yazan a développé une nouvelle technique associant portrait et calligraphie. « L’idée m’est venue car à chaque fois que je peignais sur les murs, je devais arracher des affiches d’hommes politiques que l’on voit partout. Je me suis dis que ce serait intéressant de remplacer ces visages qui sont la cause de la situation actuelle du pays, miné par l’inertie, par des icônes culturelles qui nous rassemblent au delà de nos différences. »

Fayrouz, Asmahan, Mahmoud Darwich… le jeune artiste puise dans le répertoire de la culture arabe afin d’interpeller les passants sur la richesse du patrimoine oriental. L’idée est de questionner l’identité libanaise en valorisant ses fondements, par le biais de la calligraphie. « Au Liban, nous nous éloignons de notre propre culture et faisons trop souvent du copier-coller de la culture occidentale pour vendre, sans se soucier si cela s’insère ou non dans notre environnement. Pourtant, quand j’ai commencé mes graffitis en calligraphie j’ai immédiatement eu des encouragements, mes posts sur Facebook suscitaient davantage d’intérêt. Il ne s’agit aucunement de rejeter ce qui vient de l’extérieur mais de démontrer que l’on peut s’inspirer de ce qui se fait ailleurs  en l’enrichissant avec nos propres codes. »

La nouvelle génération d’artistes libanais, à l’image des graffeurs, entend construire un nouveau Liban, débarrassé du sectarisme et décomplexé vis-à-vis de la création occidentale. Aujourd’hui, les portraits de Yazan essaiment un peu partout dans la ville et ont conquis non seulement le paysage urbain mais aussi le cœur des Beyrouthins. Ses œuvres, non partisanes, créent du lien entre les habitants au sein d’un espace commun à tous et qui transcende les divisions communautaires : la rue. Cette dernière, autrefois champ de bataille, tente désormais de panser ses plaies en rendant hommage à de nouveaux héros. Ceux qui n’ont pas de sang sur les mains.

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