Diva de l’Opéra de Damas, Racha est arrivée à Paris en 2013, contrainte d’abandonner sa vie en Syrie où la guerre se poursuit. Rencontre coup de coeur pour cette forte personnalité d’une scène musicale en voie de recomposition.
Ton premier album « Malak » (« L’Ange ») raconte les terribles conséquences de la guerre en Syrie: quelle a été ta démarche de compositeur interprète?
Dans cet album, je m’adresse aux Syriens en Syrie et à tous les réfugiés. J’ai créé cet album comme un devoir et un hommage au peuple syrien qui souffre. Je voulais parler des conséquences de la guerre à échelle humaine. Bien qu’on parle des Syriens tous les jours, ils sont devenus des chiffres, un nombre de morts, de blessés… pourtant derrière ces statistiques, il y a des drames personnels. Chaque personne a une histoire à partager. C’est le message que je veux porter pour que chacun entende un peu mieux la voix de notre pays.
Justement, ton destin musical a été directement impacté par cette guerre, tu menais une carrière professionnelle lyrique à Damas…
Nous venions de monter Les Noces de Figaro lorsque la guerre a éclaté. Et j’ai été nommée chef du département lyrique au conservatoire de Damas, une belle promotion! Pourtant, fin 2012, j’ai pris la décision de quitter la Syrie, car je ne m’y sentais plus en sécurité et j’engageais désormais l’avenir de ma petit fille, née peu de temps avant mon départ. Je redoutais particulièrement d’être la cible d’une interdictions de quitter le territoire, une menace qui visait de nombreux intellectuels et artistes à cette période.
Dans quel état d’esprit es-tu arrivée à Paris?
Je n’avais jamais imaginé que la guerre durerait si longtemps! Je suis d’abord partie au Caire puis au Liban car je pensais rentrer en Syrie rapidement. Finalement, à force d’attendre, j’ai choisi de venir à Paris. En tant que francophone, la France était une destination naturelle pour moi. Je m’étais déjà produite Festival du chant sacré de la méditerranée à Marseille, à l’opéra de Lyon et j’avais suivi des masterclass à Paris. C’est la grande soprano Caroline Dumas qui m’a accueillie comme élève à l’Ecole normale de musique de Paris. Je suis passée du statut de musicienne reconnue à celui d’une étudiante anonyme. Et le plus difficile a été de récupérer une identité administrative, j’ai du attendre de longs mois avant de récupérer mon passeport avec mon statut de réfugiée politique. Cela a été difficile de devoir attendre, sans réussir à obtenir d’explication sur cette impasse administrative qui m’a coûté de nombreuses invitations et opportunités professionnelles.
Et pourtant tu réussis à poursuivre ta carrière musicale vers un registre plutôt jazz, fusion et musiques actuelles?
Faire carrière dans l’opéra à Paris est inenvisageable passé un certain âge. Alors j’ai complètement repensé mon identité musicale liée à ma culture syriano arabe pour pouvoir trouver un public en France et à l’étranger. Cela a été un défi, et une contrainte inspirante. Mon album Malak puise dans des inspirations jazz, fusion et rock… Bien que je sois interprète de grandes oeuvres d’opéra italiennes, allemandes, françaises, mon univers personnel s’est toujours développé autour du jazz et de la fusion avec les musiques orientales, la pop ou le rock. C’est l’air de notre époque. Il faut être ouvert sur son temps, je pense que si Mozart était parmis nous, lui aussi explorerait ces registres musicaux. Mon album emprunte à des styles assez variés, je me suis laissée guider par chaque chanson. Par exemple, Yemkenni Jannet (« Paradis possibles ») a un souffle jazz, très parisien, avec une touche d’accordéon.
Sur Internet, tu as la particularité d’avoir de nombreux fans qui s’avèrent être amateurs de cartoons, pas banal pour une chanteuse d’opéra?
En fait, depuis le début des années 2000, j’ai traduit et interprété de nombreux génériques de dessins animés pour Spacetoon, la première chaîne d’animations en langue arabe. Mon public, mes fans reconnaissent ma voix et la recherchent par nostalgie. Je les retrouve parfois à mes concerts et ils m’incitent à communiquer de plus en plus sur les réseaux sociaux. Là, mon public n’a pas de frontières. C’est très impressionnant!
En mars dernier, tu mets en ligne le premier clip vidéo issu de ton album, Sakru Shababik (« Fermez les fenêtres ») qui a dépassé les 700,000 vues
Oui, c’est une belle récompense, et une preuve de l’efficacité du web comme patrie virtuelle. J’ai été accompagné par mon producteur Tarik Benouarka, compositeur et créateur d’opéra franco-algérien. Il m’a encouragé dans mon travail d’écriture et a réussi à créer un son, une cohérence dans la phase de production.
Je suis toujours heureuse de découvrir les réactions des internautes qui considèrent la vidéo comme « révolutionnaire » au sens propre. J’ai reçu beaucoup de messages d’encouragement. Sakru Shababik qui veut dire « fermez les fenêtres » souligne l’impossible neutralité face au conflit syrien. Le titre est bien sûr provocateur car personne ne peut faire mine d’ignorer ce qui se passe actuellement.
…quels sont tes projets, maintenant que tu as récupéré ton passeport?
J’ai des dates programmées à Genève, en Allemagne et en Jordanie et j’attends bien sûr des réponses maintenant que je peux à nouveau circuler librement. J’aimerais aussi collaborer avec d’autres musiciens, comme le chanteur Samih Choukrei pour plusieurs concerts en France au profit d’associations caritatives de soutien à la Syrie. Je cherche aussi à me produire vers de nouveaux publics, pour des festivals en France, je suis ouverte aux propositions! Et j’ai l’intention de diffuser un autre morceau de l’album sur Youtube prochainement.
Passé beaucoup trop inaperçu, le premier album de la diva syrienne, « Malak » sorti début 2017, mérite d’être largement présenté sur de nouvelles scènes.
Les compositions de Racha Rizk racontent avec une douceur troublante les conséquences destructrices de la guerre en Syrie. Son passé de prima donna à l’Opéra se devine dans l’élégance de son phrasé et l’amplitude de ses mélodies. Avec la liberté des grands artistes, elle chante en arabe sur des airs de musique orientale, teintés de jazz, avec des soupçons pop, ou quelques riffs de rock.
Sa voix enveloppante a déjà charmé plusieurs générations de cinéphiles en France. Il y a quelques années, elle avait prêté sa voix aux films de la réalisatrice libanaise Nadine Labaki Caramel et Et maintenant on va où? Désormais, son hommage hommage musical à la Syrie et aux syriens, rayonne sur le web, au-delà de toutes frontières.