Les 3emes « Rendez-vous de l’histoire du Monde Arabe » se sont penchés sur le thème de « Frontière-s ». L’Institut du Monde Arabe et France Culture ont organisé dans ce cadre, le jeudi 18 mai, une soirée en image sur la Frontière des sexes. L’animateur Emanuel Laurentin avait convié différents spécialistes pour venir questionner la perception des spectateurs.
Le titre pouvait porter à confusion : « frontière des sexes » aurait pu être une conférence sur le genre. Mais c’est plutôt de sexualité dont les invités ont parlé ce soir là, et donc, par extension, d’amour, de rapport au corps, de frontières du dicible et de l’indicible, de tabous…
Orient fantasmé
Leila Slimani, écrivaine marocaine ayant remporté le prix Goncourt en 2016 a rapporté de nombreux témoignages recueillis dans le cadre de son prochain livre à paraître, Sexe et mensonges, être jeune au Maroc. Elle est allée rencontrer les jeunes marocains se livrant sans filtre sur leur sexualité et les a partagé avec le public, en illustration du débat. Secrets autour de la sexualité, difficultés d’avoir des moments d’intimité avec l’être aimé, schizophrénie des jeunes entre l’obligation du mariage pour toute relation sexuelle et leurs propres pratiques nous ont été dépeints. Des témoignages touchants pour une réalité complexe que l’on occulte souvent au profit de certains clichés. « Alors que la femme musulmane a tendance a être essentialisée », nous a expliqué l’écrivaine, « il faut lui rendre son histoire et arrêter de l’enfermer dans un rôle de muette ». Selon elle, au Maroc, l’Cccident est au contraire vu comme un lieu de dépravation où tous les interdits sont permis.
Leyla Dakhli, historienne tunisienne chargée de recherche au CNRS au Centre Marc Bloch sur des questions relatives au monde arabe est parfois venue nuancer les propos de l’auteur et les contextualiser. Son approche scientifique nous a permis de mesurer le paradoxe entre une apparente pudeur et une multitude de pratiques et de questionnements qui ont secoué les sociétés arabes jusqu’à nos jours. Des amours platoniques à la consommation de la pornographie, des rendez-vous interdits aux relations interdites, le spectre de l’amour est aussi large que les préoccupations qu’il soulève.
Pour Leyla Dakli,
Chacun joue avec les frontières et à partir du moment où on sait ce que c’est, ce qui se passe derrière le rideau ne change rien.
Abdennour Bidar, philosophe et spécialiste de l’islam a, quant-à lui, éclairé le débat d’un regard plus théorique, emprunt de philosophie. Difficultés du mariage, harcèlement sexuel, pénalisation de l’homosexualité… Selon lui, on a tort de penser en Occident que ce qui ne va pas du côté de la sexualité dans le Monde Arabe est lié à la religion. Il y a d’autres explications, notamment dans le patriarcat des sociétés que l’on retrouve de part et d’autre de la Méditerranée. Il nous faut dépasser une vision emprunte d’un orientalisme historique où l’Orient est à la fois fantasmé et caricaturé et où la femme est enfermée dans une image de soumission. Il ne nous faut pas oublier que le Monde Arabe recouvre des territoires multiples pour tout autant de réalités, comme l’Islam recouvre une diversité des pratiques sociales et culturelles, mais aussi de croyances.
Changement de regard
Distancier le spectateur d’un regard parfois condescendant telle était la volonté affichée des intervenants, qui se sont eux même prêtés au jeu. La première vidéo d’archive de l’INA diffusée dans la soirée montrait le changement de statut du mariage sous l’Algérie française et en était la parfaite illustration. Jugements, discours moralisateurs et ethnocentrisme caractérisent le discours du journaliste. Emmanuel Laurentin s’en est amusé, cette vidéo n’ayant pas été choisie au hasard. Il est venu susciter le débat, questionner nos sentiments devant des propos d’une autre époque pourtant pas si loin de certains discours actuels.
Si les clichés sur le sexe et les femmes dans un Monde Arabe vu comme lointain et uniforme sont encore actuels, il est d’autant plus important de parvenir à les interroger pour mieux les déconstruire. Comme hier, ses cultures et ses traditions intriguent, suscitant tour à tour horreur et fascination. Les problématiques contemporaines et la mondialisation les confrontent à ce que l’on présente comme un Monde Occidental tout aussi caricaturé et uniformisé. Pourtant, à la frontière de la Méditerranée, les destins de l’Europe et du Monde Arabe sont inexorablement liés, et plus que jamais traversés par les mêmes maux. Le rapport à la sexualité n’y fait pas exception, et l’intérêt d’une vigilance croisée entre contrôle et libéralisme n’est plus à démontrer.
La discussion a été suivi de la projection du film Much loved de Nabil Ayouch sorti en 2015 et interdit de projection au Maroc puisque considéré comme pornographique. Il aborde le sujet de la marchandisation du corps au Maroc dans un réalisme glaçant.