Pour une approche rationnelle des industries culturelles au Maroc

Reda Allali du groupe Hoba Hoba Spirit. Crédit : Kim Metthai Leland

Oublions, le temps d’une chronique, la culture au sens noble du terme. Intéressons-y nous en tant que phénomène social, et surtout économique. Il serait faux de croire que la culture, au sens large, serait déconnectée, en tant qu’activité, du reste de la vie sociale, et se suffit de créativité et de la bonne volonté de ses acteurs pour s’épanouir, prospérer, et se développer.

L’aspect, le dynamisme, la qualité d’une production culturelle nationale ne peut être que le reflet de la combinaison de l’offre culturelle publique et de l’industrie culturelle, son importance, sa surface, et sa qualité. Si l’offre publique laisse à désirer en quantité et en qualité, la quasi-absence d’une véritable industrie culturelle n’est pas pour améliorer la situation.

Qu’est-ce que l’industrie culturelle ?

Il ne s’agit pas de partir à la défense des majors de la culture, mais de plaider pour que ce secteur soit reconnu comme un véritable secteur économique, générateur de richesse – puisqu’il faut être rationnel -, derrière lequel se tiennent des métiers, une économie, et un potentiel de croissance. Ce potentiel de croissance se situe tant au niveau qualitatif ; puisqu’une économie culturelle qui a les moyens de dévoiler les talents, de les financer, de les promouvoir, permet d’améliorer la qualité de la production culturelle ; qu’au niveau des conditions de vie des artistes, des revenus générés par cette industrie, et de sa contribution à l’économie de manière générale.

La notoriété et la crédibilité artistique est une chose, pouvoir vivre de son art en est une autre.

Très concrètement, derrière une œuvre quelconque, derrière le travail de l’artiste, une chaîne de production doit exister en amont et en aval, la fameuse « division sociale du travail ». La professionnalisation des métiers de la culture doit prendre le pas sur le coté artisanal qui la caractérise actuellement. Un artiste, qu’il soit musicien, peintre, cinéaste, ne peut s’occuper à la fois de la distribution, la commercialisation, la production, et la création de son œuvre. L’autoproduction a ses limites, et celles-ci sont bien souvent le plafond qu’atteignent les artistes marocains, talentueux souvent, qui se heurtent à une industrie atrophiée, incapable de les prendre en charge.

La Fabrique culturelle des anciens abattoirs de Casablanca. Crédit : Abdessamad Azil / Brownbook

La Fabrique culturelle des anciens abattoirs de Casablanca. Crédit : Abdessamad Azil / Brownbook

De quoi se compose l’industrie culturelle ?

Les industries culturelles sont un sous-ensemble de la catégorie beaucoup plus vaste des industries créatives. Elles en sont le cœur, et incluent la presse et l’édition, la production musicale, radio, télévision, multimédia. On peut y adjoindre les arts plastiques et visuels, le spectacle vivant, et les métiers de la créativité en général. C’est un ensemble très large, qui est sans doute flexible et élastique selon l’approche choisie, et l’on peut espérer raisonnablement que, vu sa taille au Maroc, le secteur présente une véritable possibilité de croissance.

Derrière la qualité d’une œuvre se cache le travail d’une panoplie de métiers, qui nécessitent une formation, une expertise, un savoir faire. La qualité d’un album est tout autant conditionnée par la valeur artistique intrinsèque de celui-ci que par la compétence de l’équipe qui l’a produite. La réussite commerciale de cet album dépendra du travail de distribution, de la pochette qu’aura imaginée le graphiste. Souvent au Maroc, les musiciens se retrouvent à remplir une grande partie de ces rôles, les obligeant à se détourner de ce qu’ils font de mieux, la musique. Cela est valable pour l’ensemble des secteurs de la création, cinéma, musique, théâtre, arts visuels.

La professionnalisation des métiers de la culture doit prendre le pas sur le coté artisanal qui la caractérise actuellement.

Si l’on se concentre sur les secteurs « historiques » de l’activité culturelle, l’édition, la musique, l’audiovisuel, on se rend vite compte que ceux-ci représentent une activité mineure en termes économiques. Dans le monde, les industries culturelles et créatives représentent 7,2% de la richesse produite annuellement, et représentent des millions d’emplois. Au Maroc, cette part est infime, et la contribution du secteur culturel à la richesse nationale est très limité.

Mobydick Adghal Records

Le rappeur Mobydick. Crédit : Adghal Records

De la nécessite de revoir le statut de l’artiste et de l’art

Bien sûr, elles ne se suffisent pas d’elles même et doivent être complémentaires d’une politique culturelle qui donne les moyens aux entreprises culturelles de se financer, d’offrir aux jeunes désireux de travailler dans l’industrie culturelle des opportunités de formation,  d’évolution, des perspectives salariales et professionnelles à la hauteur de l’incroyable vivier de talents que l’on voit au Maroc, qui, loin d’émerger, profite simplement des réseaux sociaux pour étendre sa notoriété. Mais la notoriété et la crédibilité artistique est une chose, pouvoir vivre de son art en est une autre, et bien rares sont les artistes à pouvoir y prétendre. Le statut de l’artiste doit être revu, dans nos représentations et dans les pratiques : celui-ci doit être reconnu comme un professionnel de son art, et, dès lors, être traité en tant que tel.

L’organisation et la structuration du secteur culturel en véritables filières industrielles, pas au sens d’une production de masse au détriment de la qualité, mais au sens d’un secteur d’activité où la norme serait le professionnalisme et non le bricolage, où la production artistique serait soutenue par un environnement à la hauteur de son potentiel pour le laisser s’exprimer, dans un cadre où l’artiste serait considéré comme un professionnel de son art et non comme une espèce de troubadour en marge de la société.

L’argument est ici classique : le Maroc a d’autres priorités nationales que la culture, et celle-ci doit s’en accommoder. Quand bien même nous conviendrions de cet argument, force est de constater que les véritables priorités (éducation, santé, désenclavement des régions), ne sont pas celles visées par les politiques publiques.

A cela il faut répondre que l’industrie de la culture, l’industrie créative représente une aubaine, que celle-ci ne peut être qu’un apport bénéfique au pays dans ses structures mentales, ses perceptions et ses valeurs, mais peut également être créatrice de richesse, une richesse à haute valeur ajoutée, si l’on est en mesure de valoriser les compétences et les ressources dont nous disposons.

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