Entre deux shows à Beyrouth, Firas et Carl, guitariste et batteur de Mashrou’ Leila, ont accepté de recevoir ONORIENT.
Rencontrer Mashrou’ Leila au Pavillon Royal au Biel, le centre international d’exposition de la capitale libanaise peut paraître surprenant. Avec ses larges vitres qui s’ouvrent sur le port et les hauteurs de la ville, le cadre privilégié de la salle de gala n’est pas exactement en adéquation avec l’image du groupe, loin d’être policée. Mais au fond, après Baalbeck, peut-être que c’est aussi ça Mashrou’ Leila, être là où on ne les attend pas.
Firaz et Carl nous reçoivent quelques heures avant leur concert et nous expliquent que c’est pour le dîner de charité de Human Rights Watch qu’ils sont sur scène. Deux jours plus tard, le décor est beaucoup moins clinquant. Le béton de la salle de concert en banlieue de Beyrouth a remplacé la moquette moelleuse, mais l’engagement du groupe est, lui, inchangé. Ce soir là, ils jouent pour l’association Sawa 4 Syria et l’intégralité des recettes de la vente des billets lui est reversée. Définitivement impliqués, ceux qui, en trois albums à peine, se sont imposés comme une référence sur la nouvelle scène musicale du monde arabe, trouvent évident de répondre à ces sollicitations. « C’est là où on se doit d’être » affirme Carl, qui reconnait néanmoins que le groupe se sent plus à l’aise en face d’un public familier qu’aux galas de charité.
En six ans d’existence, l’aventure Mashrou’ Leila n’a rien perdu de sa fougue et de sa réputation de groupe engagé. Il a évolué avec ses membres et a mûri grâce à leurs riches expériences. Leur cheminement a sans aucun doute joué un rôle dans la visibilité nouvelle dont bénéficie la jeune scène musicale libanaise. Pour Carl, les difficultés de leurs débuts ont beaucoup profité aux autres groupes. « Désormais, les programmeurs nous prennent plus au sérieux, ils ont compris qu’on pouvait être jeunes, libanais et avoir du succès, vendre des billets pour les festivals et avoir un vrai public » déclare-t-il, avant d’ajouter « J’aime l’idée de savoir qu’aujourd’hui, les jeunes groupes s’entraident et bénéficient de meilleures conditions techniques que nous à nos débuts« .
Le charisme de Hamed, chanteur et parolier du groupe, qui mélange ressemblance avec Freddie Mercury et présence d’une diva orientale, plait beaucoup
Ce regard bienveillant de la part de ceux qui ont d’abord pâti de certaines rigidités de la part de programmateurs libanais est aussi une forme de satisfaction d’avoir contribué à la professionnalisation de la scène actuelle au Liban – même s’ils continuent de déplorer un semblant d’amateurisme en comparaison à certaines de leurs expériences à l’étranger.
Quant à la question de la place qu’a la ville de Beyrouth dans leur inspiration, la réponse n’est pas facile. Peut-être ne s’est-elle jamais vraiment posée parce qu’évidente ? « On écrit sur ce qu’on vit, on est marqué par notre environnement. Evidemment, Beyrouth est présente. On la devine dans certaines de nos paroles, dans notre musique. Mais ce n’est pas notre seule source d’inspiration » indique le guitariste de Mashrou’ Leila.
Le groupe s’essaie aussi, avec succès, à quelques reprises inattendues. Il y a quelques mois, face à Who Killed Bruce Lee, ils reprenaient Toxic de Britney Spears. Sur leur dernier album, Ma Tetrikni Heik reprend Ne me quitte pas de Jacques Brel.
« Il y a des dizaines de versions de cette chanson, mais elle n’avait jamais été reprise en arabe. On a voulu l’adapter parce qu’elle correspondait parfaitement à un événement à un moment de notre vie« . Carl espère que leur interprétation aura contribué à lui donner une dimension nouvelle aux yeux de certains.
Symbole de toute une génération, le succès de Mashrou’ Leila a coïncidé avec un tournant dans la vie politique de nombreux pays de la région. Alors forcément, au Liban comme ailleurs, leurs concerts sont toujours un succès. Lorsqu’ils évoquent leurs dates à l’étranger, c’est avec un large sourire. « En Egypte et en Jordanie, c’est de la folie. Les gens là-bas sont complètement dingues. Sans doute qu’ils s’identifient à nous et c’est avec une excitation multipliée par dix qu’ils nous accueillent ». Dans tous les cas, le groupe ne boude pas son plaisir et offre toujours un véritable show. Le charisme de Hamed, chanteur et parolier du groupe, qui mélange ressemblance avec Freddie Mercury et présence d’une diva orientale, y est pour beaucoup.
Avec Haig au violon et Ibrahim à la basse, les cinq garçons entendent bien élargir leur audience au-delà des frontières du public arabophone et de la diaspora arabe en Europe et au Canada. Pour Firas, l’objectif principal de leur année 2014 est d’avoir un pied bien implanté en Europe. Pour l’instant, les choses ont l’air en bonne voie, en particulier en France où le groupe retourne d’ailleurs faire quelques dates fin mai.
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La FNAC a même commencé à distribuer leurs albums et le public semble réceptif. « On a vraiment remarqué une évolution dans la composition de notre public en Europe. Au départ, il n’y avait que des expatriés libanais et arabes, maintenant, on voit aussi des non-arabophones. A mon avis, ils ne comprennent rien à nos paroles, mais ils chantent quand même. Ils devraient pourtant s’abstenir, c’est un massacre ! » plaisante encore Firaz. Quand on leur demande de quoi sera fait le futur de Mashrou’ Leila et où ils aimeraient jouer, la question fait sourire. Dans nos rêves ou dans la réalité ? « Pour l’instant on est encore en tournée, mais on pense déjà à la suite. Rien n’est fixé pour le moment, on y travaille… » Ce qui est certain, c’est que les dates doivent s’enchaîner pendant l’été et que l’ambition est là.
Plus sérieusement, Firaz confie qu’il aimerait bien voir le groupe sur la scène principale d’un grand festival. Et après la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie, passer par le Maroc semble dans les cartons… mais les choses restent à confirmer. Avis aux programmateurs !