Past Disquiet : Exposer l’art en exil

Past Disquiet est le résultat d’un travail de dix ans. Présenté d’abord sous forme d’exposition, il fait aujourd’hui l’objet d’un livre. La recherche conduite par Kristine Khoury et Rasha Salti se plonge dans l’histoire de la première exposition internationale d’art pour la Palestine, organisée à Beyrouth par l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) en 1978 dans les sous-sols de l’Université arabe.

Peuplé d’archives, Past Disquiet fait se rencontrer une nouvelle fois les luttes qui ont agité les années 1970 à travers le monde. Exposée du 26 juillet au 1e octobre au musée Sursock de Beyrouth, elle fait au Liban sa troisième étape, après Barcelone (le MACBA en 2015) et Berlin (Das Haus der Kulturen der Welt en 2016). L’ouvrage qui en émerge est officiellement sorti le 15 septembre 2018, complétant par une réflexion académique le travail visuel élaboré dans le processus d’exposition.

Au départ de cette exposition : l’une des rares copies du catalogue de l’International Art Exhibition for Palestine présentée à Beyrouth. Elle fut un point de départ indispensable pour toutes les recherches. L’exposition proposée par Arafat au printemps 1978 devait rassembler un fonds d’œuvres devant composer les bases d’un musée palestinien en exil. L’événement mobilisa des artistes venant de plus de trente pays et pu présenter plus de deux cent œuvres léguées par ces artistes à l’exposition, dont le but était de tourner le monde avant de rentrer en Palestine libérée.

Montée au Liban, l’exposition ne connut  toutefois pas l’itinérance prévue : lors de l’invasion israélienne de Beyrouth en 1982 et le siège de Beyrouth-Ouest, les forces armées pénétrèrent les bâtiments des bureaux de la section Arts Plastiques où étaient conservées les œuvres et détruisirent l’ensemble de la collection.

Les questions posées par Kristine Khoury et Rasha Salti sont celles portées par la notion de « musée en exil » et par les pratiques qu’elle propose en terme de muséographie. Voyageant de collectifs en union d’artistes, de Paris à Rome, de Tokyo à Damas, Casablanca, Varsovie ou Berlin, de biennales pour l’art contemporain en musées, de Venise, Berlin et Rabar à Santiago du Chili, Cape Town ou Managua, elles ont interrogé le poids de l’histoire orale dans la diffusion des idées. Elles s’intéressent particulièrement aux autres expositions itinérantes devenues « musées en exil » à travers le monde, à l’image du Museo Internacional de la Resistencia Salvador Allende au Chili, l’exposition « Art pour le peuple du Nicaragua » ouverte à Managua en 1980 ou les expositions du groupe « Artists Against Apartheid » en Afrique du Sud.

La question s’étend aux expositions internationales, biennales ou foires, qui commencent à se développer dans les années 1970 : la biennale de Venise, qui ouvre ses premières expositions en 1976, partage les expérimentations engagées par la Première Biennale Arabe de Bagdad en 1974. Kristine Khoury et Rasha Salti retracent les lignes d’une histoire commune, qui dépasse les frontière et propose de penser l’histoire de l’art en termes, aussi, politiques.

Dans un entretien filmé présenté dans l’exposition, le romancier argentin Julio Cortazar explique qu’ « une œuvre n’a pas besoin d’avoir un contenu “révolutionnaire”. L’œuvre révolutionnaire provoque la révolution en performant une fracture du langage ». C’est un peu la gageure qu’ont relevé les deux commissaires de cette exposition en tentant de retracer, par une exposition itinérante, une histoire des luttes anti-impérialistes, de son expression artistique comme de la solidarité internationale avec le peuple palestinien. L’exposition ne montre pas les tableaux attendus mais part au contraire de la mémoire politique, pour en présenter les traces d’un engagement historique.

Le parcours proposé n’est pas chronologiquement linéaire ; il rassemble des pays qui ont longtemps tenté de rappeler que derrière les luttes qui les mobilisaient existaient des peuples – des peuples dont la capacité de créer permettait de survivre. L’exposition offre aux tentatives de politiques nationales post-indépendances une mémoire que la mondialisation et ses structures internationales effacent, ou du moins estompent fortement.

L’événement organisé à Sursock a touché à sa fin, mais se trouve définitivement archivé et richement documenté dans l’ouvrage publié par les deux commissaires de l’exposition, Rasha Salti et Kristine Khoury, Past Disquiet : Artists, International Solidarity and Museums in Exile. Travail de réflexion et de transmission, c’est à travers le format du livre qu’il voyagera le plus : publié par le Musée d’Art Moderne de Varsovie, l’ouvrage se présente comme une référence dans ce nouveau domaine de recherche qu’il inaugure en soi sur les musées en exil à travers le monde.

Kristine Khoury, Rasha Salti (dir.), Past Disquiet : Artists, International Solidarity and Museums in Exile

Museum of Modern Art in Warsaw editions, 2018, 330 pages

    Laisser un commentaire