Membre du jury l’édition de cette année du Festival Palest’In & Out dans la catégorie vidéo, l’incontournable artiste Larissa Sansour, donnera à cette occasion un Master Class en la compagnie de Taysir Batniji.
Lors d’un entretien, Larissa affirme son investissement pour la jeune création palestinienne mais également son engagement pour favoriser, grâce à ses oeuvres, le renversement d’une narration obsolète de l’histoire palestinienne.
Un pilier de la création palestinienne
Palestinienne de nationalité, Larissa Sansour est née à Jérusalem. Dès ses quinze ans, elle s’envole pour l’étranger afin de poursuivre une éducation impossible en Palestine, où les écoles ont fermé après la première Intifada. Son parcours l’entraîne aux Etats-unis, en Angleterre ou encore au Danemark faisant résonner son art bien au delà des frontières incertaines de la Palestine et du monde arabe. Aujourd’hui, artiste confirmée, exposée aux quatre coins du monde, elle s’engage dans le soutien de la jeune création. Larissa exerce en effet comme professeur à l’Académie des Arts de Ramallah, où elle a notamment rencontré Qaais, un des artistes exposés dans le cadre du Festival.
C’est incroyable comment les choses ont évolué si rapidement. Depuis une petite décennie, la direction de l’académie des arts de Ramallah soutient les étudiants en leur attribuant des bourses pour leur permettre d’aller étudier dans des écoles d’art prestigieuses dans le monde. Cela leur permet de poursuivre leur production ou de rejoindre des résidences d’artistes. On est passé de quelques artistes palestiniens à une vraie école qui inspire tous les autres artistes du monde. En tant que Palestinienne d’une autre génération, c’est réconfortant de voir tant d’espoirs à travers l’art .
(Ré)ecrire l’Histoire de la Palestine
La production de Larissa Sansour comprend essentiellement des films d’art à l’instar de Nation Estate (2012) (4) et quelques productions plastiques comme la bande dessinée Novel and Vovel (2009) pour lesquelles, elle puise son inspiration chez les artistes centre-américains ou moyen-orientaux qu’elle combine avec un attachement profond au cinéma de Perkowski, Bergman ou encore Tarantino. Ces oeuvres illustrent des visions futuristes sur un ton humoristique afin de dépeindre un quotidien palestinien qu’elle souhaite dédramatiser pour souligner son irréalisme.
Les Palestiniens n’auraient pas survécu à l’occupation Israëlienne sans un peu d’humour.
Dans ma carrière j’ai fait beaucoup de documentaires, ce qui m’a vraiment marqué c’est que les gens me demandaient constamment « Qu’en est il de l’autre côté ? », le côté israélien ! En tant que Palestinienne, j’étais censée être responsable du côté israélien quand je ne suis même pas autorisée à entrer en Israël.
Elle poursuit : Je veux donc donner une voix aux Palestiniens, qu’ils soient sur la même échelle que les spectateurs, qu’ils les inspirent. En utilisant l’humour, les gens ont moins peur de la région. La science-fiction m’a semblé être un médium très approprié ; lorsqu’on travaille avec la fiction on se rend compte que la réalité est encore plus irréelle, cela m’a permis de ne pas me restreindre à une certaine narration. On me demande souvent si c’est une manière de fuir les problèmes. En réalité c’est tout le contraire puisque cela me permet de parler du quotidien grâce à une narration parallèle.
Quand on travaille avec la fiction, on se rend compte que la réalité est encore plus irréelle
Ce qui alimente le travail de Larissa est de vouloir s’émanciper des codes de narration traditionnels. Pour elle, les Palestiniens sont beaucoup trop attachés à une narration de l’histoire tournée vers le passé, vers la Nakba. Elle salue la jeune génération qui souhaite également aller de l’avant au lieu « d’être bloqué au moment où le peuple a dû quitter son territoire ». Elle réinterpréte les symboles de la clé du retour et du Keffieh pour en tirer des leçons pour l’avenir à défaut de les regarder comme simples artefacts d’une histoire écrite de la Palestine. Ainsi, l’utilisation de la science fiction dans nombreux de ces films s’est imposée d’elle-même. C’est sa qualité « rétro » qui semble permettre de narrer d’un nouvel angle, l’histoire de ce territoire. « Il faut créer un nouveau vocabulaire pour aborder ce même sujet », ajoute-t-elle.
Une alternative à son expérience des médias
Dans un second temps, il lui faut également défaire la construction de cette histoire à l’échelle internationale. « J’avais des nouvelles de ma famille et de mes amis de Palestine quand j’étais en Angleterre qui m’expliquaient ce qu’il se passait là-bas, et après quand je regardais la BBC , censée produire un rapport objectif de la situation, quelque chose sonnait faux ».
Les informations sont obtenues d’une certaine manière et les journalistes se positionnent d’un certain angle puisque certains doivent rester en Israël et ne peuvent aller recueillir l’information en Palestine.
Une archéologie du futur : Archaeology in Absentia (2016)
Enfin, ce parcours consiste également à déconstruire de manière plus profonde l’établissement de l’histoire d’Israël en parallèle à l’histoire de la Palestine. C’est l’occasion pour l’artiste de nous présenter sa dernière oeuvre, Archaeology in Absentia (2016), actuellement exposée aux Mosaïc Rooms de Londres (5). L’oeuvre est composée d’un volet plastique et filmique qui met en scène une héroïne autoproclamée « La terroriste narrative » parce qu’elle veut changer le cours de l’histoire. En effet, ce protagoniste a enterré en Palestine des assiettes de porcelaine ornées du motif du Keffieh, les coordonnées sont reportées sur des ersatz de bombes nucléaires russes (qui sont en réalité des oeufs Fabergé).
À nouveau, là, où Larissa Sansour se distingue c’est en repoussant les frontières de la fiction et de la réalité. Elle a, en effet, réellement enterré ces assiettes de porcelaine en Palestine. Cette oeuvre est parti d’un constat sur les méthodes scientifiques archéologiques :
« La méthode scientifique est celle-ci : tu fouilles, tu trouves quelque chose et tu l’interprètes. Pour le cas d’Israël, ils veulent prouver que sous cette mosquée il y a un passé juif et ils fouillent, fouillent, fouillent jusqu’à ce qu’ils parviennent à prouver ce qu’ils veulent. C’est pour cela que j’ai choisi l’idée d’un leader rebelle avec un plan totalement fou pour la Palestine, on ne sait pas si elle vient du présent pour nous parler ou si elle vient du futur pour nous sauver. Mais cette réponse n’a pas d’importance, puisqu’il s’agit de prouver que d’une part l’histoire est écrite par les vainqueurs. Ainsi, ceux qui contrôlent le passé, contrôlent aussi le présent ».
Et de conclure : la question est donc : pendant combien de temps la fiction doit-elle se cacher dans le sol avant de devenir un fait ? Un peu comme Israël le fait, on se base sur l’idée « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre». Combien de temps pouvons nous garder ce mythe ?
Il nous appartient alors de pouvoir changer ce cours de l’histoire en allant chercher ces porcelaines en Palestine.
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(1) Le 7 Juillet : Remise des prix aux Lauréats du Festival
(2) Le 9 Juillet : Vernissage de l’exposition des lauréats et mention spéciale du prix en arts visuels de Palest’In & Out
(3) Le 8 Juillet : Master Class de Larissa Sansour et Taysir Batniji sur le thème « Fusion artistique et détournement culturel : un art « connecté » ? »
(4) Présenté à Paris en 2012 à la Galerie Anne de Villepoix et également lors de l’exposition à l’Institut du Monde Arabe qui été consacrée à la Palestine début 2016.
(5) « Dans l’avenir , ils ont mangé de la plus belle porcelaine », Exposition de Larissa Sansour aux Mosaïc Rooms à Londres Jusqu’au 20 Août