En ce 35e Moussem d’Assilah, l’université d’été Al Mouatamid Ibn Abbad constitue comme chaque année depuis 28 ans l’une des composantes phares du festival, en ce qu’elle organise des colloques à problématiques très pointues, constitue un laboratoire d’idées avant-gardistes et est le lieu de rencontres de ministres, de présidents de Parlement, d’intellectuels et d’artistes de tous horizons.
Onorient a assisté à un colloque artistique à enjeux géopolitiques et identitaires intitulé « Les nouveaux contours de l’Orientalisme à l’international et dans les arts contemporains arabes… pour mieux les préciser et les redéfinir, à la lumière de leur histoire » qui se tint le 25 et le 26 Juin. On vous propose un compte-rendu synthétique de deux jours de débats enflammés.
L’orientalisme réfère à cette fascination d’un ailleurs fantasmé, à cette perception imagée que les occidentaux se sont forgés de l’Orient. L’étude du pionnier Edward Saïd de 1978, L’orientalisme, l’orient créé par l’occident, démontre comment l’Occident s’est renforcé en tant que culture dominante face à un Orient qu’il a inventé à travers une imagerie, des avatars photographiques etc. (cf. Ingrès, Delacroix). Dans cet Orient fantasmé, les femmes et les esclaves y étaient dépeintes avec sensualité dans des hammams au sein de harems dans des postures suggestives, alors même qu’au sein de l’Orient réel la femme était invisible et vivait dans une chape impénétrable. Cependant, cette définition est grossière et ne prend pas en compte la pluralité du mouvement. La confusion entre orientalisme et colonialisme a été rapide et est donc contestable.
Des orientalismes
L’orientalisme n’est pas un mouvement monolithique. Les premières véritables critiques à son encontre se sont développées parmi les orientalistes mêmes. C’est à Paul Klee et à Matisse qu’on doit une première critique de l’orientalisme. On est passé du regard d’un orient fantasmé à un orient approprié et non plus exotique. L’orientalisme devient par là un orientalisme intérieur. Les artistes au maghreb et en Egypte se sont attelé dans ce prolongement à réinventer cet orient, à se l’approprier en faisant leurs les caractéristiques de l’orientalisme classique. Parures lourdes, silhouettes drapées, ambiances feutrées, arabesques, postures d’odalisques, ces artistes –souvent de sexe féminin- utilisent ces codes pour s’insurger contre cette vision réductrice, fantasmagorique de la femme orientale.
Un orient réapproprié
Intervenante au sein du colloque, l’américaine Carol Solomon approche cet aspect dans son étude intitulée «Paradox and ambiguity in the Orientalist journey of Lalla essaydi ». Selon elle, les travaux de l’artiste marocaine Lalla Essaydi s’inscrivent dans cette expérience de symbolisme historique où les femmes artistes font de leur œuvre une parodie libératrice teintée d’un humour noir. En Tunisie, Meriem Bouderbala se drape et se démultiplie elle-même dans une myriade de corps par un jeu de miroir qui nous renvoie à cette problématique d’identité plurielle, à ce rapport intemporel Orient/Occident.
Ces artistes établissent une mise en abîme, une scène de théâtre qui attaque de plein front la problématique de la réappropriation de soi en déjouant la représentation de soi par l’autre. Maîtresse – de nouveau- de sa féminité, l’artiste orientale donne à la femme arabe sa liberté d’actrice sociale éveillée.
Vers un dépassement du prisme identitaire
L’Artiste peintre marocain Mohamed el Baz, invité à intervenir, déclare : « l’emprunt dans mon œuvre d’objets reconnaissables (minarets, voiles.. ) est un emprunt à ce que nous sommes et non pas un emprunt dans un le but de critiquer l’orientalisme ». De même, l’artiste franco-algérienne Zoulikha Bouabdellah intervenante au sein du colloque également insiste sur le fait que son œuvre, une vidéo intitulée « Dansons » montrant son propre ventre drapé en bleu-blanc-rouge se trémoussant au son de la marseillaise, n’a pas pour but premier une quelconque critique de l’orientalisme. Elle invite surtout dans une vision faussement naïve et idéaliste à oublier ces enjeux identitaires liés à l’immigration pour accéder à un moment d’union et de symbiose. Si certains font des œuvres qui « font arabe » pour vendre, il est temps selon elle de passer d’un art de revendication identitaire à un art à prétention universelle.
L’histoire est dangereuse, l’enjeu est donc non pas de laver les tords liés à la fracture coloniale mais d’assumer les mémoires, de maîtriser l’histoire non pas pour se conforter dans une position victimaire mais pour s’affranchir du legs insoutenable du passé. Il est ainsi question de dépasser la conception d’Edward Saïd pour s’approprier l’orientalisme comme un composant de notre mémoire visuelle.
Intervenants :
Brahim Alaoui (Maroc) ; historien de l’art, directeur de Artmus – Paris
Zoulikha Bouabdellah (France/Algérie) Artiste – Paris
Malika Dorbani Bouabdellah (France/Algérie) Ancien conservateur du musée des beaux-arts d’Alger , chercheur au musée du Louvre – Paris
Mohamed El Baz (France/Maroc) Artiste – Paris
Roberta Gigante (Italie) Artiste- Paris
Etienne Hellman (France) Directeur Art impressionniste et moderne, Art arabe et iranien, Sotheby’s – Paris
Laurent Jacob (Belgique) Commissaire d’exposition, Historien de l’art – Paris
Bernard Marcadé (France) Historien de l’art, chercheur, professeur à l’Ecole Supérieur des beaux-arts de Cergy-Pontoise
Abduljabbar Naji (Irak) Chef du département des études historiques, Bayt-al-khima – Bagdad
Yekhan Pinarligil (Turquie) Chercheur, historien de l’art, centre Pompidou – Paris
Pierre-Olivier Rollin (Belgique) – Historien de l’art, commissaire d’expositions, directeur de B.P.S 22 – Charleroi
André Rouillé (France) Directeur de paris-art.com, Maître de conférence à Paris VIII – Paris
Carol Solomon (USA) Historienne de l’art, Professor of art history at Haverford College – Philadelphie
Farid Zahi (Maroc) – Critique d’art, chercheur à l’Institut Universitaire de la Recherche Scientifique – Rabat