Après deux masters, un sur le cinéma et un sur le documentaire, Nadja Makhlouf se lance et commence à développer ses projets photographiques. Elle débute par une série qui deviendra le premier volet d’une trilogie sur la condition des femmes en Algérie.
Femmes Fatales dresse les portraits photographiques de femmes kabyles dans l’Algérie d’aujourd’hui. Le deuxième volet, Moudjahida, femme combattante, réalisé en 2013, dépeint le rôle des femmes durant la guerre d’indépendance en Algérie. La photographe met en exergue un éventail d’actions ou de métiers exercés par les femmes pendant la guerre. La série se compose d’une photo en noir et blanc prise par Nadja Makhlouf, accompagnée d’une photo des archives personnelles de ces femmes.
Nous avons rencontré Nadja à Paris afin qu’elle nous parle plus en détail de son travail.
Comment êtes-vous passée du cinéma documentaire à la photo ?
C’est très simple en fait. A la suite de mon voyage au Sénégal et au Cap vert, après mon Master en cinéma documentaire, j’ai eu envie de concrétiser mes propres projets.
Ce que j’ai eu envie de faire c’était une trilogie de portraits sur des femmes en Algérie à travers trois régions : la Kabylie, la capitale et le désert. Comme je suis originaire de Kabylie, je m’étais rendue compte qu’en fonction où elles vivaient, les femmes avaient un rapport à l’autre très différent et ça m’intriguait beaucoup.
J’ai fait un moyen métrage et en parallèle de ce documentaire j’ai fait des photos pour remplir une sorte de dossier de presse. C’est à ce moment là que j’ai commencé à faire des photos en noir et blanc et en argentique et que j’ai travaillé sur le premier volet.
Tout de suite après je me suis dit, je dois faire le deuxième volet. J’ai donc pris la décision il y a 5 ans de partir vivre à Alger.
En arrivant à Alger, qu’aviez-vous en tête ?
Je savais que je voulais faire un travail sur les femmes à Alger mais je ne savais pas vraiment encore sous quelle forme et quoi exactement. Et à ce moment là, quelqu’un m’a parlé de la guerre de libération et de la place des femmes pendant cette guerre. Je me suis donc beaucoup documentée et je me suis rendue compte qu’il n’y avait rien là dessus. En 2013, les grands chercheurs et sociologues ne s’attardaient pas sur le sujet. En revanche je trouvais des livres de ces femmes combattantes. Mais au delà de ça je ne trouvais rien, pas de films, pas de documentaires, et là c’est le déclic et que je commence ma série sur les femmes combattantes.
Vous aviez le souhait d’un troisième volet sur les femmes Touaregs…
Oui. Mais ce troisième volet n’est pas encore commencé, parce que la situation sur place est un peu délicate. Je pourrais y aller, sans crainte, mais c’est plus la stabilité dans le désert qui m’inquiète un peu.
Donc vous travaillez sur un nouveau projet, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Il s’agit de faire le portrait des femmes musulmanes féministes en France. L’idée c’est de les photographier dans leurs quotidiens. Ces photos seront accompagnées de textes afin d’expliquer le mode de vie et la vie que chacune de ces femmes mène avec les difficultés qu’elles peuvent rencontrer au quotidien. C’est mon idée aujourd’hui, après, rien ne me dit que cela restera figé, mais l’idée est là, les photos de leur quotidien avec l’enregistrement de leurs paroles, ce qui me paraît essentiel.
Les femmes musulmanes féministes, pourquoi ce choix ?
J’ai eu envie de faire ce travail là parce que je me suis rendue compte qu’elles étaient peu, voire pas visible et j’ai l’habitude maintenant, c’est une de mes thématiques, de travailler et de faire des sujets photographiques autour des invisibles. Pour moi les femmes musulmanes féministes sont des invisibles.
C’est vrai que dernièrement on entend un peu plus souvent à la télé, la radio ou la presse, la voix de ces femmes-là mais jusqu’à il y a très peu de temps elles n’étaient pas, peu ou mal représentées. C’est pour ça que j’ai envie de faire un travail autour d’elles. J’ai envie de leur donner la parole et la possibilité de s’exprimer par elles-mêmes. Donc, les photographier et aussi les interviewer me permet de donner une vue d’ensemble sur ce que c’est être une femme musulmane féministe aujourd’hui.
Etant donné l’ambiance actuelle, ne craignez-vous pas de traiter ce sujet ?
Oui et non. Oui parce que c’est vrai que lorsqu’on aborde ce genre de sujets et cette thématique on peut être vite cataloguée. A mon grand regret la France a ce défaut là. Dans ce sens je peux avoir une certaine crainte pour aborder ce sujet car je ne sais pas du tout comment il va être accueilli, comment les gens vont le prendre. Et le fait d’être catégorisée comme étant une photographe qui traite uniquement d’un sujet tel que les femmes ou le monde musulman ou les féministes. Dans ce sens là oui.
D’un autre côté on n’en parle pas assez et on ne les voit pas. Ce sont vraiment les invisibles donc c’est vraiment important de leur donner une visibilité, parce qu’elles font partie de notre société, c’est notre part de responsabilité de leur donner la parole et ça c’est plus important que ma crainte sur l’accueil qui pourrait auprès du public ou d’un certain public. C’est vrai que l’ambiance est très « crystalisante » et c’est d’autant plus important d’aborder un sujet comme celui là. En tant que photographe je trouve que c’est ma responsabilité d’aborder des sujets délicats et difficiles.
D’un point de vue territorial vous avez souhaité cette fois rester en France pour ce projet pour l’instant, pouvez-vous nous en dire plus ?
J’ai décidé de rester en France, car cela nécessite beaucoup de temps et de disponibilité pour aborder ce sujet là. C’est très délicat. D’autant plus dans l’ambiance actuelle comme on le disait, que ce soit à l’échelle internationale ou nationale. Donc pour aller en profondeur il faut se concentrer sur un territoire.
Qu’est-ce qu’une féministe pour vous ?
Une féministe pour moi, c’est un homme ou une femme dont l’objectif est d’abolir les inégalités hommes femmes. Dans ce combat il y a l’idée de promouvoir les droits des femmes dans la société civile et dans la vie privée.
Votre travail repose essentiellement sur les femmes, d’où cela vient-il ?
Oui c’est vrai mon travail est essentiellement autour de la place de la femme algérienne et maintenant française aussi, mais à travers le prisme d’une culture et spiritualité musulmane. Il repose là-dessus car j’ai envie d’en parler aujourd’hui et j’aurais encore envie d’en parler dans l’avenir.
Tout cela est né dans l’enfance. Je me suis rendue compte de la place différente que nous avions dans la société en fonction du sexe, que le rôle à jouer était différent. Je me suis rendue compte des inégalités très tôt et cela m’a vraiment bouleversée. Donc j’ai très rapidement eu envie de faire quelque chose autour de la femme et de la féminité.
Avec le temps j’ai aussi compris que les questions féminines sont universelles et les problématiques féminines aussi. Et encore aujourd’hui il y a un vrai travail qui est nécessaire sur la place que l’on accorde aux femmes, la place qu’elles s’accordent elles-mêmes.
J’ai grandi avec des femmes, ce sont les femmes qui m’ont forgée, ce sont les femmes qui m’ont poncée, éduquée, fait grandir et fait prendre conscience de ce que signifie être une femme et de l’exigence que l’on demandait aux femmes dans la société. Et que, parce-que j’étais une femme, je n’aurais pas le droit aux mêmes choses que les hommes. J’ai encore le souhait de travailler autour de la place des femmes dans la société, quelque soit la société dans laquelle elle vit et grandit.
EXPOSITION - Moudjahida, femme combattante de Nadja Makhlouf
Du 7 au 24 mars - MJC Aimé Césaire, 13 avenue Jean Mermoz 91170 Viry-Chatillon