Mustang : une insoumission conjuguée au féminin

Mustang, le premier long métrage de Deniz Gamze Ergüven, production germano-franco-turque, est une magnifique ode à la liberté et à l’insoumission. Face au destin que l’on voudrait leur imposer car nées femmes, cinq soeurs rebelles vont entrer en résistance. Entre émotion et séduction cette première oeuvre est à voir absolument et marque le début d’une carrière prometteuse pour la jeune réalisatrice franco-turque.

Dernier jour d’école dans un village côtier turc, cinq sœurs décident de rentrer à pied pour profiter du soleil et de la mer. Sur le chemin du retour, elles se retrouvent à s’amuser avec des garçons de leur école et grimpent sur leurs épaules pour batailler dans l’eau. Sauf que ces jeux innocents d’adolescents ne sont pas du goût de leur grand-mère qui, prévenue par la voisine, les voit comme « un acte de masturbation sur la nuque des garçons » et attend les coupables pour les réprimander. La honte s’abat sur la maison et la vieille dame qui s’occupait jusque-là des orphelines va être secondée par leur oncle, qui entreprend de remettre de l’ordre. Et cela commence par un test de virginité pour les deux aînées, passeport indispensable pour leurs futurs mariages.

Cinq femmes trop fougueuses

L’honneur rétabli, des mesures drastiques sont prises pour brider les cinq créatures sublimes, femmes en devenir jugées trop fougueuses. Déscolarisées et recluses à domicile, elles vont devoir suivre un programme intensif afin de devenir les parfaites épouses : cours de cuisine, contrôle oral sur les bienfaits nutritionnels de la soupe, ateliers de couture… Les tenues insouciantes d’alors, qui laissaient leurs jambes dénudées, sont bannies au profit de « robes informes couleur de merde ».

Screenshot du film Mustang (2015)

© Mustang, le film (2015).

Dans cette fratrie féminine, les sœurs forment un corps à cinq têtes, indomptable. Mais cette unité qui fera leur force de résistance ne durera qu’un temps. La séparation de l’hydre se fera dans la douleur. C’est après leur escapade pour assister à un match de foot, véritable bouffée d’oxygène, que Sonay et Salma se verront mariées. Celles qui restent voient alors les murs de la maison s’élever toujours plus haut, la transformant en véritable prison. Dès lors, la fronde ne sera plus uniquement une pulsion de vie mais une question de survie.

[…] ce film solaire doit beaucoup aux jeunes actrices,
sublimées par une esthétique très travaillée.

Avec Mustang, la réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven, diplômée de la prestigieuse Femis, signe son premier long métrage. Acclamé à Cannes (où il a été projeté à la Quinzaine des réalisateurs), ce film solaire doit beaucoup aux jeunes actrices, sublimées par une esthétique très travaillée. La caméra filme avec une extrême sensualité Sonay, Salma, Ece, Nour et Lale laissant virevolter leur longue chevelure. Il faut y voir une attention délibéreé, les cheveux ne sont pas ici un détail ou un accessoire, ce sont des crinières, symbole de la féminité. Cette féminité qui fait peur, celle que leur oncle veut cacher, puis domestiquer. Mais les cinq grâces, à l’instar des chevaux mustangs, sont des êtres indociles, et les barrières érigées pour les cloîtrer ne font qu’accroître leur irrépressible désir de liberté.

Être une femme dans une société patriarcale

Deniz Gamze Ergüven raconte qu’elle s’est inspirée de faits réels pour chaque scène, qu’elle-même a vécus ou qui se sont passés en Turquie. Si dans sa jeunesse elle n’a pas eu un tempérament frondeur elle prend sa revanche en se rebellant à travers ses héroïnes. La narration épouse le regard de Lale, la benjamine, celle qui assiste à la condamnation de ses sœurs mariées une à une. Elle observera la résignation de ses aînées qui, lasses de résister, décident de se soumettre à la volonté familiale pour affronter leur destin.

Screeshot Mustang, le film (2015).

© Mustang, le film (2015).

Mustang est un film sur la condition des femmes dans une société patriarcale. Loin d’Istanbul et de cette Turquie sachant allier le meilleur de l’Orient et l’Occident, les cinq sœurs affrontent des villageois conservateurs et une famille qui a peur des on dit. Dès la puberté et les premiers émois sexuels, l’étau se resserre sur les corps et les esprits, il faut surveiller cet hymen où se loge l’honneur de la famille. Celui-là même qui amènera la famille du marié à l’hôpital le soir de la nuit de noces afin de vérifier la virginité de Salma car celle-ci n’a pas saigné. Car Mustang est aussi un film sur la famille, parfois lieu d’oppression quand le dialogue est impossible entre les générations et où la sexualisation des filles se fait alors qu’elles ne sont que des enfants.

Dans Mustang, on rit, on pleure, on se révolte avec ces amazones […]

Le film, entre poésie et références au conte, touche le spectateur au cœur. Dans Mustang, on rit, on pleure, on se révolte avec ces amazones, le tout bercés par la musique aérienne de Warren Ellis. Sonay, Salma, Ece, Nour et Lale, belles et impulsives, portent en elles l’arrogance de leur âge. Les pourvoyeurs de morale auront beau ériger des grilles, face à la jeunesse et à son désir ardent de liberté, cela est voué à l’échec. Oui, les femmes libres sont décidément trop dangereuses pour ceux qui ont peur d’aimer, de ressentir ou de vivre tout simplement.

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