L’Amour Impossible relate l’histoire d’Adam et de Maniké. Entre ironie et désespoir, nous suivons l’évolution de leurs sentiments dans une société hermétique à l’amour.
Rien de tel qu’un bon roman pour profiter des périodes estivales. Nous vous proposons de redécouvrir le premier roman de Moussa Ould Ebnou, introduit par Nasrin Qader comme l’un des « auteurs africains les plus novateurs, tout comme le plus négligé par les critiques ». L’Amour Impossible est paru sur les presses de L’Harmattan dans la collection «Encres Noires» en 1990 et mérite aujourd’hui d’être relu ou du moins d’être découvert.
Un homme aux nombreuses facettes
La bibliographie de Moussa Ould Ebnou nous convie à rencontrer un auteur au plumage varié dont les couleurs vont de la philosophie à la science-fiction en passant par le journalisme et le collectage culturel de tradition orale. Né en 1956 à Boutilimit, une ville au sud-est de la Mauritanie, il étudie la philosophie à l’université de Nouakchott puis à la Sorbonne. Il part ensuite deux ans dans la ville de New York pour être consultant permanent aux Nations Unies puis il rentre en Mauritanie et fonde le département de philosophie à l’université de Nouakchott. C’est dans ces conditions qu’il entame la rédaction de L’Amour Impossible, son premier roman.
Un roman de science-fiction africain… mais pas que !
Présenté comme un roman de science-fiction africain par les éditions L’Harmattan lors de sa parution en 1990, ce dernier montre néanmoins que la tradition du roman d’anticipation n’appartient pas à une seule école et, mieux, qu’une autre s’est ouverte en Mauritanie. L’africanité du projet ne veut pas vraiment dire grand chose car l’auteur entretient une relation plus intime avec son pays qu’avec l’Afrique comme continent. C’est dans l’hassaniya, dialecte arabe populaire, qu’il va non pas traduire ses romans mais, comme il le note, les réécrire pour les rendre disponibles aux non-francophones. L’Amour Impossible devient Al Hub al Mustahil en 1999 et connaît un succès mondial.
Une société éclatée en deux sexes
Nous aurions pu parler du très beau Barzakh, son second roman, qui interroge la société mauritanienne à travers trois temporalités (dont l’année 2045) mais le contexte a-géographique de l’Amour Impossible permet d’éviter d’en rajouter sur des chaleurs dignes d’une belle fin de monde que nous connaissons actuellement. La société dystopique qui y est construite tend à expliquer le titre du livre dès les premières pages : l’ordre et le mécanisme laisse peu de place aux sentiments où l’on préfère privilégier le rendement des naissances.
Comment ne pas rapprocher cette fable du Meilleur des Mondes (1932) d’Aldous Huxley, chef de file britannique du roman d’anticipation et par ailleurs de toutes constructions narratives faisant intervenir le clonage de bébés pour conditionner les hommes. Mais cette société désincarnée, sans culture, sans géographie et sans âge, lui fait juste un clin d’œil. En effet, Moussa Ould Ebnou construit une histoire où les hommes et les femmes ne s’aiment plus et ne conçoivent plus d’enfants ensemble à cause d’une guerre des sexes sans nom. La rationalisation des naissances et l’équité sexuelle les ont plongés dans un gouffre critique les obligeant à se séparer en deux catégories, d’un côté les hommes et de l’autre les femmes. L’équilibre étant revenu, ils vont chacun de leur côté redessiner les valeurs humaines autour de leur isolement genré pour entretenir un désir homosexuel normé tout en rejetant violemment l’autre sexe. Ils vont concevoir chacun de leur côté dans des « super-couveuses » des garçons pour le clan masculin et des filles dans l’autre féminin.
Comment l’ancienne conception de l’amour a été détruite
Le récit va donc se pencher sur l’amour d’un point de vue philosophique ravagé par les conséquences du modernisme dans nos sociétés et dans celles à venir. L’auteur raconte lors d’un entretien que l’amour a disparu en tant que valeur même d’où la nécessité d’écrire autour de cette thématique. Sa problématique de l’amour impossible touche l’orientation des êtres humains qui en favorisant la technique (et les conséquences du nucléaire pour certains), laisse de côté la procréation, à l’origine le fondement même de l’amour. Le sentiment devient par conséquent insensé, hors du champ social et abstrait.
Les hommes et les femmes furent séparés en deux communautés, chaque communauté ayant droit à son quota de procréation limité et spécifique, les hommes devaient procréer des garçons et les filles des filles. Chacun des sexes avait droit à un nombre limité de naissances chaque année. (p. 11)
Souhaitant apaiser les mœurs et travailler pour la cohésion des deux groupes, la société instaure alors un service mixte obligatoire de deux années où les recensés se verraient vivre dans un camp où hommes et femmes seraient mélangés.
Ce service consistait à partager sa sexualité, son travail et ses loisirs avec des membres de l’autre sexe. Un examen d’aptitude précédait l’appel au service. Les hommes et femmes aptes étaient ceux qui pouvaient assumer une activité hétérosexuelle normale. Ceux qui refusaient de s’y soumettre ou désertaient étaient jugés et condamnés à de lourdes peines qui devaient être purgés. (p. 11)
Contrairement à ce que le lecteur pourrait penser, ces camps ne sont pas destinés à faire revivre l’amour entre deux parties mais ils ont pour but de remettre à jour une attitude de procréation naturelle uniquement par le biais du désir sexuel.
Tu es comme un cocotier sur la plage, dont la vague a labouré les racines et qui, se détachant sur la mer du ciel, est devenu le plus beau bouquet du monde. (p. 24)
L’élément perturbateur d’une telle construction narrative ne peut être que la naissance d’un sentiment amoureux entre un homme et une femme. Les deux personnages principaux, Adam et Maniké, se rencontrent lors du premier entretien d’attribution des couples. Chaque homme doit conformément au règlement de «la pratique ancestrale de l’amour entre homme et femme» faire le premier pas en sortant une tirade pour aller de facto consommer l’entretien par un acte sexuel et entendre le choix du comité de sélection des couples.
[Maniké] n’avait aucune idée ni du sens ni de la portée de l’expérience qu’elle venait de vivre. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle venait de s’acquitter, par ses propres gestes, d’un rite indéfini mais obligatoire. Elle souhaitait que cette expérience s’arrête là, qu’elle ne soit pas retenue pour le service. Bien sûr le moment qu’elle venait de vivre était amusant, mais il avait un côté étrange qui l’inquiétait. La suite de cette expérience dépendait des autorités du service. (p. 25-26)
Vers une compréhension du concept amoureux à travers les péripéties du roman…
Comme le lecteur s’en doute, le comité supérieur ne retiendra pas ce couple trop sujet aux sentiments et tous les deux se verront attribuer à d’autres personnes dans le camp mixte. Les chapitres vont se succéder en questionnant d’abord ce sentiment amoureux pour ensuite, tant Adam que Maniké, partir à la quête de l’autre en passant par des étapes où la société ne fera que les éloigner. Leurs péripéties les amèneront en cellule de dégrisement pour qu’ils puissent retrouver leur homosexualité, séparés pour de bon sexuellement. Néanmoins, ils chercheront toujours à contrer les attaques dirigées vers le sentiment qui les unie, à en comprendre le sens et ses conséquences dans la société qu’ils habitent.
… et du questionnement des possibilités de l’impossible
Finalement l’auteur amène des éléments de conclusion tout autant optimistes que déconcertants. Si l’homme désire au sein de cette organisation sociale qui est la sienne rendre l’amour possible et aimer une femme, il doit malheureusement renoncer à sa nature et devenir femme.
À la sortie du café, ils se fondirent tout de suite dans la foule des femmes. Une nouvelle vie commençait pour eux, une vie de solitude à deux. (p. 169)
Sans dévoiler toute l’intrigue de cette belle et cruelle histoire, nous vous invitons à vous rendre chez L’Harmattan pour vous procurer ce roman et vous faire votre propre avis.
Les autres écrits de Moussa Ould Ebnou
Si par ailleurs vous avez déjà lu L’Amour Impossible ou que vous souhaitez découvrir d’autres écrits de Moussa Ould Ebnou, n’hésitez pas à lire la trilogie des Patrimoine Oral Mauritanien : Contes d’animaux, Contes merveilleux et Proverbes et Maximes, vous trouverez également Barzakh son deuxième roman chez L’Harmattan ; La Mecque Païenne, son premier livre d’abord rédigé en arabe puis traduit en français est vu comme une fantasy de la jâhilîya (période antéislamique) ; Fragments du Futur est un recueil de nouvelles SF, paru l’automne dernier.