Mosul Eye Bureau, l’épopée d’un blog engagé

En 2015, les images du dynamitage du trésor archéologique de Bêl à Palmyre en Syrie ont alimenté la propagande de l’Etat Islamique et hantés nos esprits. Ils ont démontré comment la haine et la guerre pouvaient balayer des années d’histoire, d’un seul revers de main. La ville de Mossoul, située dans le nord de l’Irak, sur les rives du Tigre, en est la triste illustration. Autrefois réputée pour sa diversité culturelle et religieuse, louée par des explorateurs arabes comme Ibn Battuta, elle se retrouve aujourd’hui amputée de son patrimoine millénaire: avec 70% de sa vieille ville démoli et une société ravagée par l’exode. Le résultat de trois ans d’occupation par l’Etat islamique.

Pour faire face à l’obscurantisme et à l’effroi, une vraie résistance artistique locale s’est pourtant développée silencieusement, derrière les murs. De jeunes irakiens qui utilisent l’art comme dernier recours vital, afin de lutter contre la destruction de leur pays. Le Mosul Eye Bureau est venu dévoiler cette nouvelle scène irakienne lors de l’exposition Bagdad Mon Amour, à L’Institut des Cultures d’Islam. Nous avons rencontré Angela Boskovitch, une des curatrices de l’exposition.

Quel était le contexte politique lors du lancement du blog Mosul Eye?

En juin 2014, après que Abou Bakr Al-Baghdadi a déclaré le califat islamique, les djihadistes se sont emparés de Mossoul et ont établi leur « constitution de la ville » : un ensemble de 16 lois par lesquelles ils gouvernaient la vie sociale des Mossouliotes selon des principes islamiques très strictes. En raison de la dangerosité de la situation, la plupart des médias occidentaux n’avaient peu ou pas du tout accès à ce qui se déroulait sur place. C’est alors qu’Omar Mohammed, historien et habitant de Mossoul, a décidé de créer un blog (NDLR : anonymement d’abord puis il a révélé son identité par la suite) afin de raconter les événements de l’intérieur de la ville.

Comment a-t-il réussi à récolter des informations et gagner la confiance des personnes sur place, et même celle des combattants ?

Premièrement Omar vit à Mossoul, il connaît donc bien sa ville, puis il est historien de formation ce qui lui a permis de trouver différentes portes d’entrée pour documenter ce qui se passait. Il a aussi passé beaucoup de temps à errer dans les rues, les épiceries, à parler aux conducteurs de taxi… il a lui même été témoin de beaucoup de choses.

 

Comment Mosul Eye a évolué avec le temps, et quel est son rôle aujourd’hui, alors que la ville a été reprise par l’armée irakienne ?

Le blog a évolué par lui même, en rapportant mais aussi en déconstruisant parfois les récits « classiques »  sur Mossoul pendant l’occupation islamiste. Mosul Eye s’est imposée comme une source majeure d’information pour les Mossouliotes mais aussi le monde entier. Aujourd’hui que ISIS ne contrôle plus la ville, nous souhaitons sensibiliser la communauté internationale afin de raviver la cité. Nous essayons de développer en ce sens des collaborations afin de reconstruire cet héritage, et de capitaliser sur ce que cette situation a fait émerger : une jeunesse créative et résistante. Beaucoup de travaux merveilleux ont été produits sous la peur et la répression.

Quelle est la contribution du Mosul Eye Bureau lors de l’exposition Bagdad mon amour à l’Institut des Cultures d’Islam ?

Notre présence à L’Institut des Cultures d’Islam est notre première collaboration internationale, un essai afin de mettre en lumière les travaux des artistes irakiens de Mossoul auprès du public externe. L’Irak est réputé pour son héritage historique millénaire, le musée de Bagdad contient parmi les plus importantes collections archéologiques au monde (NDLR : datant des civilisations sumériennes, babyloniennes, assyriennes et chaldéennes.), mais nous voulons montrer que la nouvelle réalité de l’Irak ne réside pas uniquement dans la destruction mais aussi dans les artistes qui ont documenté cette perte et à partir d’elle, créé de nouvelles choses. Nous voulons construire du lien entre la disparition et ce qu’elle a amené.

Justement ces artistes ont brillé par leur absence lors de l’exposition, avec de simples espaces vides pour symboliser leurs œuvres, et quelques cartes postales ?

En effet, notre difficulté principale est de parvenir à faire sortir des œuvres d’art du territoire irakien car le système d’exportation est assez bureaucratique. Même s’il y a constamment des objets qui parviennent à sortir du pays, par des trafiquants ou canaux illégaux, ou même des journalistes, nous devons trouver d’autres moyens durables de le faire. C’est un travail diplomatique entre le ministère de la culture irakien et les institutions européennes.

Elaf Adil, “Mosul 2014-2017”, 2017, digital art on A4

Quelle est la situation à Mossoul aujourd’hui ? Une des publications d’Omar sur le site parlait de la fuite massive des chrétiens et de l’importance de leur retour.

Il y a toujours une diversité à Mossoul, même si on ne peut pas nier qu’il y a eu beaucoup de déplacés dans d’autres villes d’Irak, ou même plus tristement en dehors du pays. Mais la jeunesse irakienne œuvre contre cela, et beaucoup de musulmans ont participé à nettoyer les églises détruites par ISIS, ou à repeindre des graffitis pour inviter leurs voisins chrétiens à revenir.

Des événements ont lieu pour continuer de faire vivre la ville. Il y a eu un festival de lecture organisé en septembre dernier, par des jeunes activistes sur les ruines de l’ancienne librairie de l’Université de Mossoul. Il y a eu aussi la création d’un espace culturel pour le dialogue. Les jeunes désespèrent pour ce genre d’initiatives.

 

Sarah Sabah Sheto, “The Great Al-Tahra Church”, 2017, oil on canvas, 50 x 80

Quels sont les projets que vous essayez de mettre en place à votre niveau?

Nous souhaitons devenir un point de rencontre entre les artistes émergents irakiens et institutions internationales. Je travaille actuellement étroitement avec des artistes locaux afin de bâtir ce réseau. Nous voulons aussi travailler sur la dématérialisation des éléments de patrimoine, car il est important de développer le contenu digital afin de préserver les vestiges actuels pour les générations futures. Mossoul possède une des plus grandes librairies du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, elle abritait autrefois plus d’un million de livres dont 600000 en langue arabe et 400000 en anglais. Nous menons donc une campagne de collecte de livres afin de reconstruire les librairies de la ville.

Nous organisons aussi des collaborations culturelles, et prévoyons en juillet prochain la retransmission en direct sur Facebook à Mossoul, d’un concert de l’orchestre philharmonique de Vienne.

 Comment voyez-vous le futur proche de l’Irak ?

Nous sortons d’une longue période d’isolement et de sanctions ; il y a beaucoup d’insécurité dans le pays mais je pense que, plus que jamais, l’Irak a besoin de l’aide internationale pour construire son futur. Pendant l’occupation de Daech, nous avons eu beaucoup d’aide militaire, de la part des forces de sécurité irakiennes. Maintenant, nous avons besoin de travailler au niveau de la société civile à travers l’éducation. Ninive était autrefois un lieu de coexistence pacifique entre diverses communautés chrétiennes et musulmanes, mais elle a été perturbée par la présence d’Al Qaeda et de beaucoup d’autres groupes après le départ des américains. Nous devons construire des ponts au sein de ces divisions. L’ONU a commencé en lançant en partenariat avec l’Université de Dorhuk un Master d’Art d’études sur les conflits et la paix, mais il faut multiplier ce type d’initiatives.

Quel est votre message à la communauté internationale

Le terrorisme est un phénomène international qui ne blesse pas seulement aux endroits où l’on pense. Il a touché grièvement le peuple irakien, mais il a aussi rencontré une grande résistance locale auprès de la jeunesse. Nous manquons cruellement de réseaux internationaux pour collaborer et faire connaître ces jeunes artistes. Nous avons déjà fait 3 vidéos en direct pendant l’exposition sur Facebook. Une vieille dame irakienne vivant en Angleterre est venue donner un petit discours aux habitants de Mossoul sur Facebook, et ces derniers répondaient en direct. Il est important de faire comprendre aux musées que l’Irak ne possède pas seulement un héritage perdu, mais aussi une scène émergente, et pour cela nous devons être créatif et utiliser les nouvelles technologies.

Al-Safar Mosque embraces the historic Clock Church in the heart of Old Mosul, both of which suffered relative damage in the fighting to retake the city from ISIS. Photo by Hilal Annaz, November 15, 2017.

Mohammad Dyaalden, char assyrien, 2011. Metal sculpture, 30 x 60 cm. Travail du métal typique de Mossoul. (copyright Dania Al-Khalidi)

Junaid AL Fakhri, Sans titre, 1993. Peinture à l’huile sur cuir, 40 x 25 x 35 cm. Cette boîte en bois fait main hand-painted wooden est l’oeuvre de l’archéologue Junaid Al Fakhri. Les motifs font références à des peintures murales du nord ouest du Palais de Nimrod. Le roi Assurnasirpal II peint en haut du coffre est entouré de figures ailées et de l’arbre de vie sacré. Al-Fakhri la perdu la plupart de ses effets personnels et oeuvres d’art à la libération in the liberation contre ISIS,à l’exception de cette boîte conçue en 1993 (copyright Dania Al-Khalidi)

 

Aujourd’hui, après avoir été reconquise par les forces iraquiennes, Mossoul tente de se relever peu à peu. Les Emirats Arabes Unis en partenariat avec l’organisation culturelle, scientifique et éducative de l’UNESCO viennent d’accorder 50 millions de dollars à la reconstruction de la célèbre Mosquée Al Nouri. Erigée au 12 ème siècle comme symbole de la lutte musulmane contre les croisés, elle était un emblème de la ville avec son minaret penché. Un projet de 5 ans pour reconstruire et « donner de l’espoir aux jeunes irakiens », comme l’a déclaré la ministre de la culture des EAU au journaliste de la BBC durant une cérémonie au musée national de Baghdad.

Pour en savoir plus sur la situation à Mossoul aujourd'hui

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