Mohamed Arejdal se décrit comme un artiste « MADE IN MOROCCO ». Né à Guelmim, il y réside jusqu’à ses dix sept ans. Originaire d’une famille modeste amazigh, ses seuls et premiers voyages se limitaient à des virées dans l’anti-atlas voisin ou à des séjour à Agadir pour des visites médicales en cas de besoin.
Il entend pour la première fois le mot « artiste » le jour où il gagne un concours de dessin pour enfants. Ce terme raisonnera en lui et le poussera à s’intéresser aux arts plastiques. Il essayera alors d’intégrer la filière artistique au lycée d’Essaouira, mais en vain. Ce premier échec sera vécu comme un choc et les années scolaires qui s’en suivront seront empruntes de désarroi.
A la première occasion, Mohamed voyage clandestinement en 2002 et rejoint les Îles Canaries depuis Laayoun. Percevant l’Europe comme le « paradis de l’art et des artistes », il n’hésitera pas à dérober son père pour pouvoir rejoindre l’autre rive alors même qu’il organise une exposition critiquant le phénomène mortifère d’immigration secrète.
Mais le parcours de Mohamed a cela de particulier de revenir par tous les chemins à sa terre natale. Il finira par y rejoindre les Beaux-Arts de Tétouan avant de s’orienter vers l’enseignement pour transmettre sa passion.
Un héros de roman
Le parcours de vie de Mohamed n’a pas été un long fleuve tranquille. Ses mésaventures multiples ont fini par inspirer le roman graphique « Amazigh, itinéraire d’hommes libres » de Cédric Liano. Cette bande dessinée parue en 2014 a nécessité sept ans de maturation pour cerner le personnage de Mohamed et coucher sur du papier les trépidations de sa vie.
Aux Îles Canaries, son rêve européen s’est rapidement transformé en chimère. Le séjour au commissariat et les intimidations qu’il a vécus l’ont marqué. A la rencontre des autres dans cette expérience amère, son travail d’autocritique débute.
L’image violente de la capture d’un groupe de sub-sahariens ou encore la diffusion de son portrait dans le journal au moment de son arrestation ont laissé une trace imperméable dans sa mémoire. Mohamed nous raconte à quel point « l’autre » et son regard ont un impact direct sur sa vie.
Cette thématique reviendra plus tard dans son œuvre qui reste très soucieuse de l’Humain et de l’espace qu’il occupe.
A la recherche du grand sud
Selon cet optimiste-né, l’artiste soigne les plaies de la politique. Il calme les esprits et ouvre les yeux sur la face humaine du monde. Mohamed est très satisfait des projets qu’il voit fleurir partout et nous confirme que son engagement entamé, depuis un bon bout de temps, ne porte ses fruits que maintenant.
« Il faut certes un grand souffle et beaucoup de volontariat » nous répond Mohamed à la question : « Comment concrétiser plus de projets artistiques ? ». C’est en effet grâce aux rencontres et à la dynamique que permet la constitution de collectifs temporaires que beaucoup de défis ont pu être relevés. D’autres problèmes ont aujourd’hui grand besoin d’être résolus. La question d’archivage et le manque de documentation sont ainsi des chantiers que Mohamed souhaiterait voir évoluer et pours lesquels il garde beaucoup d’espoir.
Quant à ses efforts, il a choisi de les déployer au sud. Loin de Casablanca ou Rabat où les possibilités sont multiples, il s’est installé à Taroudant pour s’impliquer fortement dans le milieu associatif et citoyen. Dans un contexte neutre et vierge, Mohamed s’investit pour créer l’abcdaire culturel dans la région.
Peu lui importe la difficulté du labeur, il est sûr que sa place est ici et que son combat doit être mené : « Le chemin, on peut le gommer et se tromper mais il faut oser le prendre ». Si ce besoin de retour au sud est profond, il est néanmoins bercé par un rêve fou, mais fort « le rêve africain ». « Naïvement, je vois le futur au sud », nous confie Mohamed.
Pour le dépassement de l’élitisme culturel
Mohamed a fait ses débuts dans la peinture, mais n’a pas voulu croiser les doigts lorsqu’il manquait de gouache. Il évolue par la suite dans sa pratique pour commencer, à son insu, à créer des installations en rassemblant des éléments sans les modeler.
Chez Mohamed, l’idée et la réflexion précèdent l’éxécution. Lorsqu’il présente ses premières performances, il souhaite rendre son langage accessible. Ces représentations publiques sont importantes pour Mohamed, elles finissent, par des mécanismes de communication, à influer sur son travail. Ainsi, contexte et récepteurs guident la réflexion et décident in fine de la nature de la création.
Dans ses recherches récentes, Mohammed tente des expérimentations corporelles et des vibrations sonores pour toucher différentes personnes.
Les différents médiums qu’il utilise sont ainsi un prétexte pour approcher la modernité par des codes locaux sans l’importer. La performance «Mohamed est un artiste » (2012) a été effectuée dans le contexte de la halka, théâtre vivant populaire à la place Jamaa Lfna. Cette dernière joue sur le rapprochement entre Mohamed Arejdal, l’artiste, le prophète et le roi. Pendant 24h, Mohamed répétait le même discours qui durait 11 min avant de changer d’endroit et interpeller d’autres passants. En assumant son choix de vie et son public, Mohamed s’affirmait artiste dans l’espace public.