C’est rue Omar Ben Al Khattab, à quelques minutes de la fameuse Rainbow Street que nous retrouvons Mohamed Abd El hadi dans l’appartement d’un de ses amis, Ahmed Ameen.
Notre conversation avec l’artiste se fera donc au milieu d’un petit comité réuni par Rand El Haj Hasan, artiste et architecte jordanienne que nous avions rencontré à Tunis.
Dès le seuil de l’appartement dépassé, nous sommes plongés dans une atmosphère lourde et feutrée. Dans une petite pièce où Mohamed a entreposé ses toiles, nous prenons place sur un fauteuil confortable; face à nous une table où trônent trois coupelles de fruits secs et une bouteille d’Arak.
A la croisée de chemins
Mohamed est un personnage complexe. Très timide et interdit, sa langue se délie soudainement lorsque notre conversation passionnée glisse sur des sujets politiques ou identitaires. Mohamed n’aime pas parler de lui, ni de son travail mais on devine la subtilité de sa personnalité à travers son humour cynique et ses paroles non verbales.
Né au Koweit de parents palestiniens et syriens, Mohamed Abd el Hadi est issu d’une famille qui a immigré en Jordanie en 1991 après l’invasion irakienne. Passionné d’art depuis son plus jeune âge, Mohammed poursuit ses études à la Yarmouk University d’Irbid et obtient un diplôme de Design Graphique. Un des premiers travaux personnels est un livre qui sera publié en 2002 sous le titre Papers on a Laundry Line اوراق على حبل الغسيل.
https://www.behance.net/m-abdelhadi
Malgré sa formation en design, ce dernier n’est pas le canal exclusif des flots artistiques de Mohammed. La peinture de Mohamed Abd El Hadi que nous découvrons ce jour-là, autour de nous, exhale une esthétique pleine de féminité et de finesse. Éclatantes de couleurs, plantureuses, à la fois courbées et généreuses puis parfaitement géométriques et symétriques, les toiles de Mohamed contrastent avec sa personnalité réservée et discrète. Elles se surimposent d’elles-même dans le champ de vision, tirent et attirent après avoir planté leur hameçon. Souvent figuratives, les toiles de Mohamed reflètent sa passion pour l’humain et traduisent aussi l’héritage de la zone géographique à laquelle il appartient. Si l’on y retrouve parfois des caractères arabes, des ventres de danseuses et des derviches tourneurs, les icônes de la culture arabe ne sont jamais bruts ou clichés mais réinvestis et réinterprétés par la virtuosité de l’artiste.
Un nomade du Moyen Orient
Repéré par des galeristes, Mohamed participera à plusieurs expositions de groupe avant d’avoir deux expositions solo au Omani French Centre en 2014 et à la Zara Gallery en 2015. Mohammed exerce également en tant que professeur en design graphique au Scientific college of design pendant plusieurs années.
Dans les toiles de Mohamed, on sent l’apport de sa formation en design qui donne à son tracé une perfection troublante. Mais au-delà de cette régularité, ce qui est fascinant c’est l’émotion qui réussit à se dégager un chemin au milieu de ces lignes régulières. On parvient en effet à ressentir un réel mouvement dans les œuvres de l’artiste et on devine son point de vue d’esthète sur la vie.
Ce soir-là, trahi par ses amis Rand et Ahmed, Mohammed nous parlera de son projet de stylisme non sans modestie. L’artiste a en effet toujours eu un réel penchant pour l’habillement qu’il a finalement décidé de transformer en une collection à venir. Si les vêtements qu’il concevra s’avèrent être aussi colorés et harmonieux que ceux que l’on devine sur ces toiles, nous ne pourrons qu’être conquis.