Mehdi Black Wind, le vent noir du rap marocain

Si vous vous trouvez à Rabat et que vous pensez que le Maroc est formidable de modernité, traversez le pont Moulay Hassan en direction de Salé. Vous y verrez un autre pays, et avec un peu de chance, Mehdi Black Wind.

Le flow assuré, la rime acérée, le beat délicieusement old-school… la technique, la musicalité est parfaite. Mais l’essentiel n’est pas là. Mehdi Black Wind surnage dans le marasme de la scène hip-hop marocaine, dont les principes et l’engagement ont fait long feu. Portrait d’un rappeur sans concession que vous n’entendrez pas à la radio.

Une scène hip-hop en piteux état

En une poignée de titres solo, quelques featurings, et avec son crew L’Bassline (Les insolents), Mehdi Black Wind s’impose comme l’un des rappeurs les plus talentueux du pays. Il est vrai que l’impression générale qui se dégage de la scène hip-hop laisse perplexe. Le natif de Salé, ville-dortoir (et pauvre) jumelle de la capitale, sait que le Maroc n’est pas, loin s’en faut, le pays des cartes postales paradisiaques.

Mehdi Black Wind

Mehdi Black Wind et Al Nasser sur scène à Casablanca (Crédit : Mehdi Lyoubi)

Le pionnier Bigg a depuis longtemps abandonné le combat –ce que personne ne semble lui avoir pardonné-, Muslim appelle à voter aux élections, et n’en déplaise à Dizzy Dros, Casablanca n’est pas la Californie. Un océan de médiocrité réactionnaire où l’on semble avoir oublié que le rap se définit par son opposition aux pouvoirs et à l’autorité, plutôt que par sa soumission à ces derniers. Dans un pays répressif envers ses artistes, où la pauvreté est généralisée, les sujets d’écriture ne manquent pourtant pas.

« Prends le micro et rappe sur la réalité » – Keep it real

Mehdi Black Wind, c’est le cas de le dire, est un vent de liberté dans le milieu du rap marocain. Un vent noir, agressif, sans illusion. Avec son collectif L’Bassline et ses comparses, ils s’attaquent frontalement à des sujets dont on a peine à trouver la moindre trace ailleurs.

Le flow de Mehdi Black Wind est poétique, mais également, surtout, politique. Un rap, c’est assez rare pour le noter, traversé par une culture et une érudition sans pareille dans le milieu. Avec des références constantes aux grandes figures du combat national, de Mehdi Benbarka et son corps disparu dans l’acide à la figure de la résistance à l’occupation coloniale Mouha Ou Hammou complètement absent du récit national, Mehdi rend hommage à ceux qui ont donné leur vie pour la démocratie et l’indépendance du Maroc.

« Zéro dirham dans la prod’ et un câble rafistolé au scotch » – RAPport

Un rap politique, qui n’hésite à s’attaquer ni à la monarchie, ni à la police, ni au milieu politique. Symboles des symboles, dans Nashid (l’Hymne) l’hymne national en prend pour son grade, cet hymne qui s’ouvre par cette phrase « Berceau des hommes libres, levant des lumières », alors que, six minutes durant, personne n’est épargné. La colère se déverse sur tous ceux, des artistes aux politiques, qui ont fait de l’hypocrisie une constante, et qui ont bradé leur silence contre rentes et médailles officielles.

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Là où d’autres nous proposent ce rap nationaliste, rouge et vert, aux couleurs du drapeau, l’œuvre de Mehdi Black Wind est patriotique. La différence est de taille. Car, n’en déplaise aux tenants du « plus beau pays du monde », le Maroc ne l’est pas. Il est même un concentré de misère sociale, où la pauvreté, l’analphabétisme, la répression fait des ravages.

Sans pitié pour les rappeurs qui « étranglent leur stylo », Black Wind s’engage, se fait le porte-voix du peuple,  ce « cha3b » laissé pour compte dans les albums de ses homologues rappeurs. Et, contrairement à eux, Mehdi et L’Bassline se débrouillent avec les moyens du bord. Pas d’invitation aux festivals, pas de subventions, pas de passage radio. Un rap à zéro dirham, mais peut-être le seul qui reste fidèle aux principes du hip-hop.