Dans sa série Mectoub, Scarlett Coten raconte en photo le Maroc, l’Algérie, la Palestine, le Liban et l’Egype qu’elle a parcouru depuis 2012.
“Une expérience. L’aboutissement d’un moment magique” c’est en ces termes que Scarlett Coten décrit les photographies de sa série Mectoub. Pour prendre ces clichés elle a sillonné depuis 2012 le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Palestine, le Liban et l’Egypte. À chaque pays elle a recueilli des portraits intimistes de jeunes- hommes. Au-delà de l’image, ils expriment le lien profond et éphémère entre la photographe et le sujet photographié. En effet, pour atteindre ce précieux clic qui donnera “ la” photo, celle qui s’imposera par elle-même parmi les deux cent prises lors de la séance, il faudra trouver le subtil triptyque mariant confiance, séduction et complicité.
Séduction, feeling et confiance
Scarlett Coten choisit ses « muses » un peu au gré des rencontres, ils peuvent être des amis d’amis ou des clients qu’elle croise dans un café où elle est attablée. Tout est question de feeling. La discussion amorcée, le lieu identifié (ce qui n’est pas une mince affaire car il faut qu’il ait une histoire mais soit aussi isolé tout en étant accessible) l’expérience débute : “ Il s’agit d’un moment de séduction réciproque mais aussi de confiance, indispensable pour aboutir au lâcher prise. Lui et moi sommes à stricte égalité : on partage nos émotions, nos sentiments et nos histoires. Si je ne donne rien de moi-même, il ne va rien m’offrir en échange. La photographie est le réceptacle d’une vraie confidence. C’est en étant tous deux en état de fragilité que l’on pourra se dévoiler”.
La photographie est le réceptacle d’une vraie confidence.
Et c’est dans ce dévoilement, possible parce que la photographe est femme et étrangère, que Mectoub est fascinant. Il nous plonge dans nos représentations et les bousculent. En observant Jean-Georges, Mohannad ou Yahia on se questionne sur notre propre identité. Suis-je assez viril ? Est-ce que je corresponds à ce que la société attend de moi ? Comment être libre, m’affranchir des diktats et m’assumer tel que je suis ? Mectoub est une histoire de mecs, de mecs qui assument ce qu’ils sont dans des sociétés où cela s’apparente à un acte de rébellion.
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Des photos qui parlent plus que des mots mais qui paradoxalement ne sont pas forcément bien interprétées. On pourrait d’abord penser à des odalisques au masculin sauf qu’il n’en est rien. Ici, les “objets” photographiques ne sont pas passifs malgré des poses à l’allure lascive et des regards langoureux. Scarlett Coten leur laisse carte blanche pour s’exprimer et se laisser aller, sans aucune mise en scène. Le résultat est aléatoire comme nos émotions face aux modèles : on a tour à tour envie de passer une main joueuse dans des cheveux bouclés, se lover dans des bras tatoués protecteurs ou alors les enlacer d’une douceur maternelle…
Accepter sa part de féminité
Makarios, jeune cairote ayant participé aux soulèvements du printemps arabe fut l’un des modèles de Mectoub. La séance photo reste pour lui une expérience forte qui l’a révélé à lui- même grâce au savoir-faire de la photographe. Pour une fois il était le centre de l’attention sans avoir à jouer un rôle ou se soucier des pressions sociales :
Mectoub est une série qui donne à voir l’esprit des jeunes qui sont descendus dans la rue en 2011 et qui représente le changement. Ce sont des hommes qui acceptent leur part de féminité. J’aime ma photographie parce qu’elle dit qui je suis : je suis Makarios, j’habite à Mansheyyat Nasser (le quartier des “zabbalin” – chiffonniers-). Je suis copte et je suis révolutionnaire.
N’en déplaise à d’aucuns qui voudront y lire une virilité écornée, signe d’une faiblesse qui irait de pair avec une féminité suspecte. Oui ces hommes sont arabes et acceptent leur part féminine, tout simplement parce que quelqu’un leur en donne l’occasion, loin des yeux accusateurs et réprobateurs. Ils se découvrent intérieurement et parfois extérieurement sous un regard neutre, un regard artistique, un regard de femme qui sait ce qu’être assigné à une identité signifie et quel degré de souffrance cela peut générer. C’est d’ailleurs ce que la photographe avait en tête avant de concevoir son projet :
Je travaille dans le monde arabe depuis une quinzaine d’années et j’étais surprise de voir que l’on s’intéresse toujours aux femmes. Bien sûr ces travaux sont importants pour dénoncer la condition des femmes et leur oppression mais les hommes souffrent également, ce sont aussi des victimes de ces sociétés qui ne laissent pas la place à la liberté de l’individu, homme comme femme. Les hommes subissent des injonctions à être virils, machistes et à intérioriser leurs émotions. Ne pas en parler équivaut à le nier .
Ces jeunes citadins ont d’autres aspirations mais souvent incompris, ils n’ont d’autres choix que d’agir en fonction de ces codes censés régir les relations hommes – femmes.
Ces exemplaires, spécimens d’Homo Orientalis de la nouvelle génération, Scarlett Coten nous les donne à voir, sans filtre, tels quels. À l’image du chorégraphe égyptien Hazem Header qui danse en stiletto rouges dans son spectacle “Inside Out” consacré au genre, aux rôles sociaux et aux rapports de force. Perché sur ses talons rouges, le port altier, il nous proclame que la liberté de l’homme passera par celle de la femme. Hazem et tous les autres sont ces mêmes jeunes qui ont été encensés par les médias occidentaux en 2011 car ils revendiquaient la liberté d’exister. Aujourd’hui, plus personne ne s’intéresse à eux. Pourtant, ils sont toujours là. Mectoub les remet sur le devant de la scène avec des photos qui dérangent car elles nous montrent une réalité que tant ne veulent pas voir : celle du mâle arabe et de ses multiples identités ; celle de la complexité et surtout celle de la modernité.