Les 18 et 19 octobre ont eu lieu les Maghreb Jazz Days à la Fondation de la Maison de Tunisie à Paris, la première édition d’un festival rassemblant la jeune scène maghrébine du Jazz. Au programme : des master-classes de guembri avec l’artiste franco-marocain Idriss El Mehdi et de clarinette avec le multi-instrumentiste tunisien Amine Bouhafa, et 4 concerts d’exception : Mohamed Beddiar (Algérie), Jazz Oil (Tunisie), Abderraouf Ouertani Quartet (Tunisie) et Oum (Maroc). On y était et on vous raconte tout.
Le Jazz du dialogue
Le flûtiste, Mohamed Beddiar, accompagné de son pianiste, entame No m’oblidis, un morceau rempli de poésie qui titille notre sensibilité et nous transporte d’emblée dans un univers féerique.
Deseo, El meus amigos et Seven for Constantine allient rythmes cadencées traditionnels et délicatesse, formant ainsi une mosaïque surprenante de sonorités. Transnochando et Butifanon expriment l’attachement du roi de l’improvisation aux traditions musicales ancestrales et sa passion contemporaine pour le jazz.
Le cadre et l’ambiance musicale sont plaisants, mais le concert est décevant dans l’ensemble. La musique est bonne mais une fois étalée sur une durée suffisamment longue, elle devient ennuyeuse. Il n’y avait aucun changement de rythme, aucune surprise, aucune folie. Voilà, c’était plat. Mohammed Beddiar avait déclaré au début du concert que sa musique était habituellement jouée par un orchestre. Or, ce soir là, ils n’étaient que deux sur scène. C’est probablement de là où venait le problème.
Le Jazz de l'espoir
C’est une situation bien particulière que traverse le groupe tunisien Jazz Oil en ce moment. Leur leader, Slim Abida, est emprisonné en Tunisie dans le cadre d’une affaire qui rappelle tristement une époque que l’on croyait révolue. Malgré ces difficultés, le groupe a quand même tenu sa promesse et a répondu présent à cette première édition des Maghreb Jazz Days.
Tous les ingrédients d’un bon jazz étaient là : un piano, une basse, un saxophone et une batterie. Le tout accompagné d’un qûanun et d’un ney pour ajouter à ce mélange de saveurs musicales un assaisonnement doux et très oriental. Même en l’absence de son leader, le groupe est fusionnel et l’alchimie tient. Dans ce festival d’instruments, le groupe a su trouver l’équilibre parfait pour nous offrir un concert qui nous fera retenir ce nom très prometteur, Jazz Oil.
La chanson Tunisie (Touness) a ouvert le bal, un hymne d’une jeunesse, en quête de liberté, composé par celui à qui on l’a confisqué injustement, Slim Abida. Souvenirs a chatouillé notre nostalgie et nous avons dansé sur Lila funk, Hkeya et Lamma. Absurd démarre doucement par un monologue des notes du qanunist Nidal Jaoua, co-fondateur du groupe. Les autres musiciens ne tarderont pas de le rejoindre pour initier un dialogue des cultures et d’instruments sur cette scène improvisée pour l’occasion. Les chansons s’enchaînaient, espacées par les discours timides de Nidal et ponctuées par des solos chaleureusement applaudis par un public déjà convaincu.
Jazz Oil nous a séduit.
Le Jazz nostalgique
Un percussionniste (Yousef Zayed), une pianiste (Daum Jung), un saxophoniste (Benoît Meynier)… Abderraouf Ouertani est bien entouré.
Le Quartet débute avec Le monde sans toi, un morceau qui nous transmet une vague d’émotions et nous dépayse en quelques notes. Une introduction réussie qui sera succédé de La médina perdue, Tunis, la première composition pour Oud de l’artiste. Une véritable balade dans les ruelles de la capitale tunisienne ; de la porte de Bab El Bhar, aux échoppes des souks, jusqu’à la mosquée Zitouna au cœur de la ville, avec une interprétation en milieu de morceau de l’appel à la prière du cheikh El Barraq qui était diffusé à la radio nationale tunisienne et qui a bercé les oreilles d’enfant d’Abderraouf. Mikhaïl, une musique d’hommage à son idole Michael Jackson, une sorte de démarcation de Billie Jean.
C’est sur un ton anecdotique que Abderraouf présente De Versailles à Gaza, un morceau pensé depuis sa chambre d’étudiant à Versailles. Il enchaîne ensuite avec la Suite pour piano et oud, un morceau d’une vingtaine de minutes, avant de profiter du cadre intimiste pour s’exprimer de manière un peu personnelle en dédiant sa composition Chaker coincé entre bureaucratie et technocratie à un ami dont il dit regretter de s’être, à un certain moment, méfié. Il clôture ce concert d’exception par deux compositions poignantes Retour à Dieu et Une étoile solitaire.
Nous sommes conquis par ce jeune artiste très prometteur dont le premier album Contes d’un misérable luth vient de sortir en juillet 2013. Spontané, il apprivoise la scène très naturellement, dévoile les histoires de ses compositions, suscite sourires et rires de l’assemblée, et créé rapidement un lien avec son public.
Prochain concert : 1er décembre, théâtre de l’Ogresse (Paris), 19h.
Le Jazz de la diversité
La chanteuse marocaine Oum était présente également. Vêtue d’un tissu qu’elle même avait transformé en robe et couronnée d’un Serdal qui rappelle le moyen Atlas, elle nous a offert un concert des plus mémorables.
Le début est plutôt timide avec la chanson Menni Lik. Oum n’était pas encore à l’aise avec cette salle et cela se sentait, sa voix n’était pas encore au point. Mais la deuxième chanson Aji n’a pas tardé de rectifier le tir et de nous annoncer la couleur : Oum était là pour clôturer ce festival comme il le fallait. Sa voix gagnait en puissance et en intensité au fur et à mesure que les chansons s’écoulaient.
Le point culminant de ce concert a été atteint lorsque Oum a interprété l’un des poèmes les plus célèbres du registre arabe, Lamma Bada, dans une version qui n’a rien à envier à celle de Lena Chamamyan. On s’est vite laissé bercer par cette voix douce et puissante avec des chansons comme Shine, Targalate, Mnama. Un vrai melting pot culturel à base de sonorités jazzy et d’autres très africaines. Les solos des musiciens n’ont pas manqué de nous faire frissonner avec une maîtrise parfaite d’instruments variés et très exotiques par moment. C’est avec ces musiciens même que Oum n’hésitait pas à interagir, elle les taquinait à plusieurs reprises créant ainsi une ambiance décontractée et bon enfant.
Quand on connait Oum, on ne peut s’attendre qu’à un concert de qualité et franchement, on ne peut pas dire qu’on a été déçu cette fois-ci.
Article réalisé en collaboration avec Sarah Miftah.