Dans les milieux artistiques orientaux, il y a un syndrome qui fait sans cesse surface. Comme un traumatisme envers cet Occident qui a imposé sa grille de lecture de l’Orient, le regard scrutateur de certains observateurs pointe sans cesse sur des interprétations dénoncées comme étant occidentales. Dans une société mondialisée où les stéréotypes sont des raccourcis appréciés, l’Orient se place au premier rang de la renaissance, ou tout simplement la reconnaissance, de ses propres valeurs et cultures. Et pourtant, l’Orient ne se définit pas par des harems, des voiles et des déserts.
C’est ainsi qu’au croisement de la photographie, la calligraphie et la peinture, Lalla Essaydi a pris à bras-le-corps cette notion pour en faire le centre de sa réflexion artistique. Sa légitimité tend à ce qu’elle soit le fruit du multiculturalisme, entre le Maroc, la France, l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis. Sans aborder toutes les thématiques touchées par l’orientalisme, l’artiste se focalise sur la femme et tous les fantasmes qui l’entourent. S’insérant dans l’espace, la femme de Lalla Essaydi est un caméléon. Si les différentes figures présentées dans ses photographies portent des habits traditionnels, elles fondent dans leur environnement par la calligraphie appliquée au henné. Plutôt que le choc ou le dialogue des civilisations, elle a fait le choix de déconstruire la vision de cet Autre occidental sur le mystère féminin oriental.
Dans ses expositions, la photographe déconstruit les idées ancrées dans nos esprits, en se réappropriant la fantaisie devenue réalité de l’orientalisme. Le harem n’est plus un lieu s’apparentant à une maison close, où les femmes déambulent dans une quasi-nudité. Lalla Essaydi vise le regard des hommes, qui par leur simple regard transforment cet espace privé en public. Elle rétablit la notion de harem comme un lieu, empreint de mystère, hautement féminin mais également familial et ordinaire, basé sur son propre vécu.
Si l’espace des photographies de la série Converging territories paraît fortement réduit, amplifié par l’inondation calligraphique, l’effet est surprenant : la grandeur s’illustre dans l’immersion de la femme dans cet espace. Suivant cette continuité, dans Les Femmes du Maroc, Lalla Essaydi remet en question le rôle de la femme arabe, construisant des tableaux où le regard ténébreux des modèles transperce l’observateur. Paradoxalement à l’espace réducteur, ce qu’elles dégagent est l’expression de la détermination, voire de leur omniprésence. Finalement, ses expositions, intégrant Harem et Harem Revisited, sont une porte entrouverte à l’espace privé de la femme, où elles s’affirment comme maîtresses des lieux.
Au-delà de la symbolique et des messages portés par ces œuvres, les photographies de Lalla Essaydi sont avant tout d’une beauté esthétique. A travers celle-ci, l’artiste porte les critiques de deux univers, des fantasmes de l’Occident à la remise en question de l’identité féminine en Orient.