L’Oranais. Chronique d’une désillusion algérienne

Photo de l'affiche de L'Oranais. Crédit : Jean-Claude Lother

Dans L’Oranais du réalisateur franco-algérien Lyes Salem, la fiction interroge la réalité, les choix personnels ont une dimension politique. Et vice versa.

Le film s’ouvre sur les images de la lutte indépendantiste des Algériens. Après la guerre, deux amis, Djaffar et Hamid, sont promis à un grand destin, dans une Algérie libre. Cependant, un drame familial et des divergences politiques vont finir par créer un fossé entre les inséparables d’hier.

Une fiction lyrique et humaine

L’Oranais, c’est d’abord un cinéma de l’émotion. La mise en scène lyrique est à son apogée lors de la représentation de la pièce de théâtre retransmettant le drame familial de Djaffar. Parce que L’Oranais n’est pas simplement un film sur l’Algérie, mais surtout un film sur des hommes : leurs  amitiés, leurs familles, leurs amours, leurs idéaux, leurs concessions. Évidemment, les relations qu’ils entretiennent sont liées au contexte politique du pays, qui déteint sur leur destin, dessinant ainsi ses manques, ses oublis et ses mensonges.

Crédit : Jean-Claude Lother

Crédit : Jean-Claude Lother

Le film nous présente des personnages au caractère intéressant, notamment l’enfant issu du viol d’un militaire français sur une Algérienne. Fruit d’une violence, il restera le socle d’amour le plus certain de la vie de Djaffar. Certains verront dans ce personnage une allégorie des relations franco-algériennes, voire de la relation ambiguë qu’entretient la France avec ses enfants d’immigrés. L’Oranais, c’est aussi le parcours de trois hommes qui portent des idéaux, mais finiront par se trahir, à force de décisions prises sur le vif. Le personnage de Hamid incarne la figure de l’homme qui se trahit lui-même, et sur son lit de mort, il sera bordé par le remord et l’amnésie.

Une fresque historique à caractère politique

Fait assez rare pour être mentionné, Lyes Salem met en scène des héros de l’indépendance humains, donc parfois vulnérables. Un film loin des mythes inhérents aux récits de guerre que nous entendons ici et là. Ce film pose des questions essentielles sur la pertinence de l’histoire officielle. Celle qui voudrait que les héros d’hier aient été les politiques du lendemain. Et d’aujourd’hui, encore, toujours. La sacralisation des moudjahidines-fantômes en guise de sérum, pour ralentir toute démarche d’auto-critique. Pour transformer cette révolution, appropriée par l’élite politique, en vulgaire opium. Finalement, nous sortons de ce film avec plus de questions que de réponses. Après tout, à qui sert cette mystification de l’histoire nationale algérienne ? Et si l’unification d’une nation se faisait sur un projet commun, pour les vivants, et non sur une glorification incessante des morts ? L’Oranais a l’insolence de le supposer, tant pis pour les auto-proclamés « créanciers de l’Histoire« .

La dimension historique du film, même si là ne se trouve pas l’ambition de Lyes Salem, reste à souligner. Nous découvrons le climat d’euphorie post 62, et celui propre aux années 80, à l’aide d’une bande originale traditionnelle et plutôt efficace. Très vite, nous voilà en immersion dans une Algérie riche, le vin coulant à flot, symbolisant l’abondance propre au mode de vie de l’élite politique post 62. Loin des mythes, on vous a dit.

Une bonne nouvelle pour l’Algérie

La francophonie, la question berbère, la gestion du pouvoir dans l’Algérie indépendante, le rapport au colon, le nationalisme, autant de sujets traités tantôt avec humour, tant avec émotion, avec une simplicité qui rendrait Lyes Salem presque impertinent. Finalement, L’Oranais donne le micro à une voix murmurante qui mérite, sinon d’être saluée, au moins d’être écoutée.

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