Bachar Mar-Khalifé. L’interview inspiration

BMK

C’est au Domaine d’O, à Montpellier, que nous avons rencontré Bachar Mar-Khalifé juste avant son concert au Festival Arabesques, pour une interview thématique. Le maître-mot étant l’inspiration.

La personne morte qui vous inspire le plus ?

Bachar Mar-Khalifé – Avant les artistes, je pense que la personne qui m’a le plus inspiré et que je n’ai hélas pas connu est mon grand-père maternel. Ma mère m’a énormément parlé de lui, et à chaque fois que je vais à Jezzine (un village dans le sud du Liban), son village natal, j’ai l’impression de vivre un peu de ce qu’il a vécu. J’ai l’impression de le connaitre. C’était un artisan très généreux qui aimait la vie, qui aimait l’arak (alcool traditionnel libanais) et le tabac. C’est quelqu’un de très présent en moi, je ne sais pas si c’est uniquement les gènes, mais c’est un exemple pour moi.

La personne vivante qui vous inspire le plus ?

Bachar Mar-Khalifé – Tout est déjà en soi et dans les personnes qu’on aime et avec qui ont travaille. Je viens de finir la musique pour Fièvre, du réalisateur marocain Hicham Ayouche. On a partagé des moments magiques en studio alors qu’on ne se connaissait pas. On n’a pas eu besoin de parler beaucoup, c’était quelque chose de vrai. La vérité n’est pas toujours dans l’échange de mots, c’est une rencontre charnelle, l’attraction entre deux physiques. Mon travail de composition me pousse à oublier tout ce que j’ai appris, entendu, touché pour repartir à zéro et obtenir quelque chose d’unique et de vivant.

La thématique qui vous inspire le plus ?

Bachar Mar-Khalifé – A vrai dire, il y a plusieurs thèmes qui reviennent. D’abord mon enfance, mon pays, le bonheur, l’angoisse aussi. Ce thème est souvent connecté au thème de la mort. Pas la mort triste, mais la mort naturelle. Phénomène qui mérite notre amour. Aimer encore et toujours quelqu’un, même quand l’être chéri s’en va. J’ai toujours en moi cette image de Zorba qui danse à la mort de son fils. Je pense que c’est un thème qui mérite d’être abordé sans tabou, sans peur. Il y a aussi les conflits, et par conflit, je n’entends pas l’idée de guerre. La solitude aussi, celle qui permet de contempler une plante qui pousse, d’écouter le vent. Ce sont des moments précieux.

La pression peut-elle bloquer l’inspiration ?

Bachar Mar-Khalifé – Beaucoup de choses peuvent bloquer une personne et pas juste son inspiration, qui peut bloquer son être. La pression des sociétés dans lesquelles nous vivons est quelque chose de mortel, dans le sens le plus négatif qu’il soit. Être mort sans l’être, oublier la vie, la conscience d’être, d’entendre, de respirer, oublier le silence. Personnellement, ce qui me bloque le plus est la médiocrité des choses qu’on côtoie, que ce soit la télévision, les gens, mes semblables… Le seul moyen de me protéger de ça, c’est de me taire, me retirer et regarder les plantes pousser.

Un philosophe qui vous a inspiré ?

Bachar Mar-Khalifé – Nietzsche me passionne par sa folie, Vladimir Jankélévitch aussi. C’est un philosophe qui a admirablement parlé de la mort. Je ne l’ai pas connu personnellement, mais via une pièce de théâtre que j’ai joué et qui s’appelait Les morts qui touchent. Tous les philosophes et les poètes ont parlé de la mort. C’est le sujet ultime qui ne peut qu’inspirer quelque chose de sincère et simple. L’amour de la mort de certains écrivains comme Hemingway ou Deleuze n’est pas anodine. Ce n’est pas la vision de la mort qu’on voit à la télévision, vision exécrable de l’homme qui tue l’homme dans une violence inouïe.

L’inspiration vient-elle avec la quiétude ou de l’angoisse ?

Bachar Mar-Khalifé – L’angoisse est une énergie qui permet de créer. Être serein ne permet pas de créer quelque chose à mon sens. Le besoin de créer vient essentiellement de cette angoisse. Si je cours après cette inspiration, ça ne peut pas marcher, j’arrêterai la musique le jour où je serai serein.

Le moment de la journée qui vous inspire le plus ?

Bachar Mar-Khalifé – Le matin joue un rôle particulier. Le réveil est central, c’est le moment où j’ai envie d’écouter de la musique par exemple, c’est le moment où je travaille le mieux. Peut-être n’est ce qu’une question de forme, car après tout, je me fatigue au fil des heures.

Vous puisez votre inspiration dans le passé ou de ce qui n’existe pas encore ?

Bachar Mar-Khalifé – Ni l’un, ni l’autre. Je suis vraiment attaché au moment présent. Evidemment, je me nourris inconsciemment du passé. L’avenir m’angoisse terriblement parce qu’il m’échappe complètement. Le seul moment où je peux faire quelque chose, c’est l’instant présent. Pendant un concert par exemple, j’ai cette attente naïve que le public va vivre ce moment exactement comme moi je vais le vivre. On ne peut pas tous avoir la même énergie mais quand on la ressent, c’est jouissif. J’ai l’impression qu’il n’y a rien avant et rien après.

(Avec la collaboration de Marwa Asserraji)

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