Like Salt – Entretien avec la réalisatrice et écrivain Darine Hotait

Darine Hotait au Festival des Cinémas Arabes © Thierry Rimbaud (2018)

Like Salt est le dernier court-métrage de Darine Hotait qui est sorti en juillet 2018. L’histoire narre la rencontre de Hala (Jessica Damouni), une jeune boxeuse d’origine libanaise et de Kendrick (Ben Williams), un jazzmen afro-américain. Ce court-métrage de 25 minutes met en scène la vie de ces deux jeunes personnes vivant à New York, issues de deux diasporas très différentes, dans un décor américain en 2006.

 

Depuis sa sortie officielle, Like Salt circule dans les festivals du monde entier. Nous avons rencontré Darine Hotait à Paris à l’occasion de la présentation de son film au Festival des Cinémas Arabes (28 juin 20188 juillet 2018) à l’Institut du Monde Arabe.

Alors, que venez-vous faire à Paris et quel sera votre programme ?

Je suis à Paris pour deux choses. D’abord, pour la projection de mon nouveau film Like Salt qui est en compétition officielle au Festival des Cinémas Arabes de l’Institut du Monde Arabe. Je suis aussi ici pour diriger le Cinephilia Shorts Lab. Ce programme a été fondé en 2013 et c’est un projet incubateur de ma compagnie de production Cinephilia Productions basée à New York. L’idée de cet atelier, c’est qu’il accueille chaque année dans une ville différente des cinéastes originaires du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord pendant douze jours afin de développer leur scénario de court-métrage. Cette année, le Cinephilia Shorts Lab a lieu en partenariat avec l’Institut du Monde Arabe tout en étant dans le cadre du festival.

Quel fut votre coup de cœur durant le Festival des Cinémas Arabes ?

Je n’ai pas vu beaucoup de films pour être honnête car les ateliers ont bien rempli mon emploi du temps. J’ai quand même fait en sorte d’aller voir quelques courts-métrages qui furent très différents les uns des autres. J’ai dû voir huit films en tout. J’étais vraiment impatiente de voir Capharnaüm de Nadine Labaki qui a fait l’ouverture du festival. J’ai également beaucoup aimé le film égyptien Kiss Me Not d’Ahmed Amer.

Comment est-ce que Like Salt vous est venu à l’esprit ?

Like Salt est le fruit de plusieurs questionnements. Certains étaient personnels et il n’y avait que la narration qui me permettait de trouver des éléments de réponse. Avant ça, j’avais écrit une courte histoire, intitulée Salt, pour la publier dans mon recueil de nouvelles. C’est une histoire très personnelle, lorsque j’étais petite, et qui raconte plus particulièrement la transition qu’il y eut entre ma vie au Liban et celle qui allait se faire aux États-Unis. Quand j’ai commencé à me pencher sur cette période, où je me posais beaucoup de questions et où il y eut des moments de révélation et de blessures profondes, j’ai réussi à mettre en ordre l’histoire que je voulais raconter. J’ai alors commencé à écrire un long-métrage, qui est à ce jour encore en train de se développer et que j’ai appelé Like Salt. J’ai pensé que réaliser un court-métrage à partir de celui-ci serait une bonne idée pour me laisser de la place tout en explorant mon personnage et son parcours, même si dans le court-métrage le personnage est à un stade différent de sa vie que dans le long-métrage.

J’ai donc écrit Like Salt à partir de cette expérience, de ma vie à Los Angeles, et de la Guerre des Trente-trois-jours qui a opposé Israël au Liban en juillet 2006. C’était une opération destructrice à bien des niveaux. À ce moment-là, ma mère était en voyage au Liban avec mon frère pour l’été. Ils furent coincés là-bas et il nous fut impossible d’établir une communication avec eux pendant quelques jours. Ce fut horrible. Personne ne savait s’ils étaient en vie ou non parce qu’ils étaient dans le sud de Beyrouth, vraiment à côtés des endroits qui furent bombardés. Ça m’a permis de planter le décor : une fille rongée par une guerre, qui est à l’étranger, et qui essaye d’avoir une vie normale dans un pays qui ne comprend rien à sa frustration. Tout part de cet état-là et, comme c’était une expérience très douloureuse, j’avais vraiment besoin de la partager. C’est alors qu’il y eut tout un processus où je me suis demandée pourquoi raconter cet événement, comment le faire et par quel moyen il pourrait devenir une histoire. Mais ce film n’est pas pour autant autobiographique. Même si l’histoire que je viens de vous raconter y est pour beaucoup, la narration est totalement fictive.

Hala interprétée par Jessica Damouni / Like Salt de Darine Hotait (2018)

Comment vous y êtes-vous prise pour le choix des acteurs et des lieux de tournage ?

Je crois que je suis une réalisatrice très chanceuse. Pour les acteurs, je les ai presque tous trouvés comme ça, par hasard. Ben Williams, mon acteur principal, n’en ai d’ailleurs pas un. C’est un bassiste professionnel qui n’avait jamais joué auparavant et que j’ai rencontré à Cuba lorsque je suis allée à l’International Jazz Day en 2017. Nous avons passé quelques minutes ensemble et j’ai immédiatement su qu’il serait parfait pour interpréter Kendrick. Si je n’avais pas été à Cuba à ce moment-là, je ne l’aurais jamais rencontré. Et pourtant, nous vivons tous les deux à New York ! Le hasard fait bien les choses.
Pour l’actrice principale, Jessica Damouni, quelqu’un l’a taggée dans un post Facebook lorsque j’étais à la recherche d’acteurs pour mon film. C’est encore une fois le fruit du hasard parce que, quand nous nous sommes retrouvées, je la faisais auditionner pour un autre rôle à la base. Et à la minute où je me suis assise avec elle, j’ai su qu’elle devrait tenir le rôle principal. Ben et Jessica ont tous les deux quelque chose de très spécial car leurs expressions sont presque indéchiffrables et nous fascinent. C’est ce qui est le plus important pour moi.

Concernant les lieux de tournage, j’ai eu pas mal de souci à les trouver. Il y en avait vraiment beaucoup et la plupart devaient être tournés de nuit. La scène dans le club de Jazz a été tournée au Cornelia Street Café dans le quartier de Greenwich Village à Manhattan. Cet endroit qui date de 1977 est vraiment magnifique et a accueilli de nombreux artistes qui ont fait des performances ou lu de la poésie tels qu’Oliver Sacks, Suzanne Vega ou encore Eve Ensler avec ses Monologues du Vagin. Ce lieu est vraiment très riche ! On a aussi fait une prise aux Rollin’ Studios à Brooklyn et au Lynnville Hotel, où nous avons réussi à faire jouer un très beau cheval, prénommé Bacardi, dans une des scènes.

Kendrick interprété par Ben Williams / Like Salt de Darine Hotait (2018)

Vous présentez votre film à Paris mais est-ce qu’il a fait l’objet d’une itinérance avant et va-t-il en entamer/poursuivre une par la suite ?

Oui, le film vient juste d’entamer son marathon festivalier. Il a fait l’ouverture de la 10ème édition du Festival de Marfa, un super festival au Texas. Il a aussi été montré à Detroit lors de la 13ème édition du Festival Cinetopia et pour la 15ème édition du Festival des Arts de l’Utah. Le film va sûrement circuler dans d’autres festivals encore une année. On espère vraiment faire une avant-première au Moyen-Orient pour septembre ou octobre 2018. Après ça, le film sera disponible sur des plateformes de Vidéos à la Demande (VOD).

Pour l’instant, comment votre film a-t-il été reçu dans les festivals ?

Jusqu’à maintenant, le film a été projeté dans quatre festivals en un mois et j’ai assisté personnellement à celle de Detroit et de Paris. À Detroit, le public était très curieux et la discussion pleine d’intérêt. C’était vraiment très agréable. Les gens semblaient vraiment avoir été captés par le film. À Paris, il y eut de bonnes réactions mais je n’ai pas eu l’occasion d’avoir une conversation poussée avec le public. Mais les retours furent plutôt bons. Je suis très contente de voir que le film ait trouvé son public.

Est-ce que vous pouvez m’en dire plus sur vous ?

Je suis née au Liban en 1985 et ma famille a émigré aux États-Unis quand j’avais neuf ans. On a atterri à Detroit pour retrouver mes grands-parents et toute ma famille, qui y vivait depuis 1975 après avoir fui la guerre civile au Liban. J’ai étudié le cinéma à Los Angeles à l’Art Center College of Design où j’ai été diplômé d’un master dans l’écriture de scénario et dans la réalisation de film. J’ai déménagé à New York en 2010 où j’ai fondé ma société de production Cinephilia Productions. C’est aussi un incubateur de projets permettant à des cinéastes originaires de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de bénéficier d’un accompagnement et d’une formation.

Je suis écrivain et réalisatrice de film à plein temps. J’écris énormément car c’est ma passion et le fonds de commerce de mon inspiration. Si je suis parfois découragée par la réalisation de certaines choses, je n’éprouve jamais ce sentiment avec l’écriture. J’écris tout ce qui me passe par la tête et tout ce que je trouve stimulant pour être adapter et faire des scénarios, des pièces de théâtre, des courts-métrages ou de la poésie. À travers mon écriture, j’aime particulièrement m’adonner au genre de la science-fiction et à des univers où la fantaisie et le réalisme s’entremêle. En tant que réalisatrice, la fiction m’est essentielle. Je n’ai pas encore fait de documentaire mais je ne suis pas contre. Il faut juste que je trouve la bonne histoire ou le bon sujet et peut-être qu’un jour ça se fera. Mais je suis à fond dans la fiction pour l’instant.

Quels sujets aimeriez-vous réaliser à l’avenir ?

Je suis assez ouverte et ça ne me dérange pas d’explorer des thématiques, des sujets ou des genres qui se chevauchent. Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de le faire tant que je reste fidèle à mon intuition et à ce que je veux dire.

Dites-m’en plus sur vos inspirations. Est-ce que vous avez des cinéastes auxquels vous vous référez ?

J’adore Andreï Tarkovsky, Stanley Kubrick, Nuri Bilge Ceylan ou encore Abbas Kiarostami. Ce sont des maîtres qui ne me laisse pas indifférente. Mon inspiration ne se résume pas à quelques sources car c’est quelque chose de très personnelle. Je me sers beaucoup de mon ressenti et de mon histoire personnelle, ce qui me rend triste, ce qui me blesse ou me rend heureuse. Mon intuition personnelle est la base de mon inspiration. Mais si vous voulez que je vous liste quelques sources externes, je dirais que la poésie performée, mise en relation avec la culture hip-hop, la littérature de science-fiction et les sujets scientifiques sont de bons éléments. Rien ne me fait plus triper que la musique.

J’ai découvert votre travail pour la première fois quand un de vos textes fit partie d’une exposition de la plateforme curatoriale Halcyon, dirigée par Rachel Dedman, dans le cadre de la Transart Triennale de Berlin en 2016. Est-ce que vous pourriez m’en dire plus sur ce texte et l’importance de la science-fiction arabe ? Est-ce que ça vous intéresserait de réaliser un film de science-fiction à l’avenir ?

Une de mes nouvelles a été publiée sous la forme d’un chap-book pour l’exposition d’Halcyon par Rachel Dedman. C’était un grand honneur pour moi de faire partie de ce projet qui réunissait des artistes du Moyen-Orient travaillant autour de la science-fiction.
Je suis en train de réaliser un court-métrage de science-fiction. Le titre du film est Orb et il explore des thèmes en lien avec l’immortalité à travers le téléchargement de l’esprit. Je suis dessus depuis trois ans maintenant et nous espérons pouvoir le filmer à la fin de l’année.

C’est quoi la suite pour vous ?

C’est de commencer mon long-métrage Like Salt qui est actuellement au stade du financement. J’ai fini d’écrire le scénario et je dois juste réécrire quelques passages, tout en cherchant des personnes intéressées pour financer un tel film, avant de lancer sa production.

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