Dans le cadre de sa participation au Festival Palest’In & Out, qui se tiendra du 7 au 13 juillet 2016 à Paris, et où elle présentera son dernier projet d’art-vidéo, « The Pessoptimist », Mirna Bamieh a accepté de répondre à nos questions.
Elle aborde les thèmes de la recherche identitaire qu’elle exulte à travers son art et par l’exploitation de son corps comme médium au service de ses engagements politiques. Investie dans de nombreux projets artistiques, elle nous livre le cheminement de ses travaux qui ont pour but de la rapprocher d’où elle vient afin d’échapper à la géographie difficile de son territoire d’origine, la Palestine. Voyageuse invétérée, c’est par la distance que Mirna parvient toujours à opérer un renvoi subtil à sa ville, Ramallah, source d’inspiration constante.
« The Pessoptimist » : une oeuvre à retrouver au Festival Palestin’In & Out
L’oeuvre qu’elle présentera à Paris (1), « The Pessoptimist », est une vidéo de 14 minutes. Elle est basée sur une extrapolation littéraire tirée de l’oeuvre de l’auteur arabe israélien Emile Habibi, The secret life of Saeed the Pessoptimist, publié en 1974. Nous assistons à une déambulation visuelle, bercée par un texte écrit par l’auteure palestinienne Dalia Taha, relatant l’enlèvement par des extraterrestres du personnage principal, Saeed, trame de fond inspirée du premier chapitre de l’ouvrage.
« Nous avons imaginé comment pouvait se dérouler la vie de Saeed à Ramallah en 2015. On l’observe traverser des événements pour la plupart dramatiques, mais aucun d’eux n’est qualifié comme tel dans sa conscience. Nous suivons son errance dans l’espace urbain. Ce n’est pas un espace défini, on ne dit pas Ramallah, on ne dit pas Palestine, mais on le ressent. Le tournant dans la vidéo est quand Saeed voit le mur et demande « What is the wall ? ». A ce moment précis, sa vie est bouleversée puisqu’il est alors placé au Musée National du fait qu’il soit la seule personne qui n’ait jamais vu le mur de sa vie. Le film parle donc d’un homme qui se transforme en objet. Ce qui me fascine dans l’oeuvre d’Habibi et dans son ouvrage, c’est qu’il s’agit d’une forme d’autobiographie, il mélange la fiction et les faits, ce qui est un modèle de production pour moi. Il joue avec ses questionnements identitaires, en remettant perpétuellement en question ce que cela signifie d’être lui, à savoir un Palestinien qui est né dans un lieu indéfini et constamment réinterprété. »
What is the wall ?
Une génération d’artistes Palestiniens à la conquête du monde
Mirna Bamieh a étudié la psychologie à Ramallah puis les Beaux Arts à Tel Aviv. Par sa formation, ses voyages et son développement artistique, elle s’inscrit, selon elle, dans une nouvelle génération artistique palestinienne qui face à l’échec institutionnel de la construction nationale a du opérer un repli sur soi pour trouver des alternatives d’expression.
« Il y a évidemment une histoire de l’art palestinienne. Au début, il s’agissait d’un mouvement activiste, les artistes pionniers faisaient des efforts considérables pour permettre une visibilité internationale pour la cause palestinienne. Leurs oeuvres avaient pour but de dire « nous existons ». Ils ont établi une histoire de l’art palestinienne en exposant leur art partout, ils voulaient montrer qu’il y avait un peuple, une culture, au monde entier. Après les accords d’Oslo, dans les années 90, cela a changé, il y a eu l’Autorité Palestinienne, les accords de paix mais le projet national était en train de s’effondrer, le peuple était frustré donc les artistes se sont concentrés sur leurs propres autobiographies, sur leurs propres identités. Je suis arrivée à ce moment là, quand j’avais la vingtaine.
Je regarde ma carrière non comme s’inscrivant dans l’histoire de l’art palestinienne mais comme le dénouement de mes questionnements personnels à travers mon art ainsi qu’à travers un panel de références de canons artistiques. J’aime le travail de Larissa Sansour qui me parle tout particulièrement du fait de l’alternance entre ses visions futuristes du présent et le retour qu’elle opère sur le passé pour révéler des scénarios parfois lugubres mais parfois plein d’espoir. J’aime également le travail de Sliman Mansour qui est l’un des artistes pionniers en Palestine. Son travail a un aspect très contemporain alors qu’il a beaucoup produit dans les années 70 et 80, mais il revisite constamment son travail s’adaptant aux changements politiques à travers un changement de couleur, de matériaux, de paysages. »
Tutorial : How to disappear, become an image. 2015
Mirna voyage beaucoup dans le cadre de ses activités artistiques. Ceci lui permet d’appréhender et de défendre la spécificité de l’art palestinien sur la scène internationale et également sur la scène artistique du monde arabe :
« La Palestine a une histoire et un contexte politique différent, comme chaque pays. La spécificité pour les Palestiniens est que nous devons voyager pour communiquer ; très peu d’artistes viennent en Palestine donc la communication se fait forcément par notre départ. Nous devons être des représentants de notre pays, de notre contexte politique quand nous voyageons. Cela engendre une communication évidemment différente de celle d’un pays comme l’Egypte, par exemple, où les flux sont plus fluides. Mais il y a une autre conséquence, qui est qu’il y a six ans, la Palestine était sous les projecteurs. Avec les printemps arabes, l’attention s’est détournée vers d’autres pays. Pour moi, c’est quelque chose de sain, mais cela demande beaucoup de travail pour continuer de transmettre un message sans être sous les projecteurs. Les artistes palestiniens ont donc un nouveau défi à relever pour que leur voix soit entendue puisque l’injustice palestinienne n’est pas la seule injustice au monde. L’injustice nourri la pratique artistique, au quotidien avec la pression, l’occupation, les images. Mon travail n’a pas un direct message politique mais le politique s’insère dans mes expériences urbaines, dans les changements politiques. Ce n’est pas un choix, je ne peux pas faire le choix de produire un art qui ne soit pas politique mais je choisis que mon art ne soit pas un art politique. »
Je ne peux pas faire le choix de produire un art qui ne soit pas politique mais je choisis que mon art ne soit pas un art politique.
Une artiste complète renouvelant ses moyens d’expression
Cette ouverture que Mirna entretient par ses voyages, elle la diffuse également dans les multiples projets qu’elle crée. Après une expérience dans la conservation pendant 3 ans, qui la frustra dans sa manière de s’exprimer, elle décide de se consacrer pleinement à son art en diversifiant les moyens d’expression. Aussi, elle participe à des résidences d’artiste dont elle a pu être à l’origine à l’instar du Maskan Apartment Project qui a eu lieu pendant 3 mois en 2015 à Beyrouth et qui pourrait se déplacer à l’avenir, dans d’autres villes dans le monde.
A l’heure de notre rencontre, Mirna développe deux performances itinérantes. La première « Potato Talks » (2) est une réunion d’une dizaines de conteurs sur des places publiques, qui racontent des histoires en épluchant des pommes de terre. Cette performance doit être expérimentée dans plusieurs villes (3), et porte à chaque fois sur un nouveau thème. Dans sa seconde performance, « Six hours of autowriting in cafés », l’artiste, dans un café, écrit pendant six heures en continu toutes ses pensées projetées simultanément sur un mur aux yeux de tous les clients du café.
« Le but de cette performance est de me connecter avec mon moi intérieur et de le rendre matériel. Je n’ai aucun contrôle sur qui voit ce que j’écris et je dois forcément me restreindre à la matérialité des mots. Tout ceci s’expérimente à travers le prisme de l’intimité et de la vulnérabilité. Quand je regarde en arrière ma carrière, j’ai observé que les principaux changements ont eu lieu quand je m’exposais plus, quand j’étais plus vulnérable. Ceci a commencé avec mon installation en 2010, « Non-objective whispers » quand j’ai exposé des objets personnels, puis en 2014 avec « Interrupted Biographies », il s’agissait de mon histoire familiale personnelle. Dans le passé, j’ai fait beaucoup de performances où je contais puis je suis passée à la vidéo. D’une certaine manière, j’ai perdu la connexion avec l’extérieur et la manière dont mon art était perçu dans l’espace public. Il y avait moins de challenge à travers la vidéo. Six hours of autowriting avait quelque chose de fascinant, les spectateurs ont traité cette performance avec beaucoup de délicatesse, c’était comme pleurer en public même si mon texte n’avait rien de sentimental. Quelqu’un m’a dit à la fin « C’était comme un très très long poème ». J’étais très heureuse parce que c’était exactement ce que j’avais ressenti pendant la performance et j’aurai été déçue que cette performance n’ait aucun impact ».
[vimeo]https://vimeo.com/88004167[/vimeo]
Interrupted Biographies 2014 – Mirna Bamieh explore ses archives familiales
Mirna s’affirme donc comme une artiste de l’expérience, du sensoriel. C’est une des raisons pour lesquelles elle utilise son corps comme le premier medium d’expression.
Le corps passe par les mêmes occupations, fragmentations politiques, c’est un écho de ce qui se passe à l’extérieur ; je l’utilise comme une toile.
Pour conclure nous avons interrogé Mirna sur sa participation au Festival Palest’In & Out et les artistes qui y seraient présents :
« Lors de l’organisation du festival, j’étais en contact avec le lauréat dans la catégorie vidéo, Mahmoud Abu Ghalwa. Je n’ai pas l’habitude de rencontrer des gens de Gaza, c’était donc très rafraichissant d’être en contact avec lui. De plus, il ne vient pas du monde des arts visuels mais du milieu du cinéma. C’était très intéressant de regarder son travail, la qualité technique, sa sincérité. Je lui ai montré le premier essai de la vidéo et il m’a aidé à l’arranger, c’était un très beau moment d’interaction. »
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(1) Pour retrouver les informations concernant l’exposition de la jeune création, cliquez ici.
(2) Inspiré par une citation de Joseph Beuys « Chaque interaction humaine peut devenir une oeuvre d’art, même éplucher une pomme de terre, si cela est fait consciemment ».
(3) La performance « Potato Talks » sera présentée pour la prochaine fois lors de la Biennale « Qalandiya International » qui se déroule en Palestine du 5 au 31 octobre 2016.