L’hommage à Mahmoud Darwich : atteindre « la simplicité inaccessible » ?

Disparu le 9 août 2008, le poète palestinien Mahmoud Darwich a marqué de ses mots plusieurs générations. A l’occasion de la treizième édition du Festival Arabesques, plusieurs artistes lui ont rendu hommage au travers d’un spectacle entre poésie et musique.

Le coup de cœur du festival

 Dix ans après sa disparition, Mahmoud Darwich continue d’exister au travers de sa prose ou de sa poésie. Car son héritage littéraire n’a cessé d’inspirer les artistes de tout bord, plusieurs d’entre eux se sont réunis sur la scène du Théâtre Jean-Claude Carrière du Domaine d’O pour revisiter, et explorer les textes de l’auteur. La oudiste Kamilya Joubran, le chanteur Walead Ben Selim, le membre de Zebda, Magyd Cherfi,  le conteur irakien Jihad Darwich, le rappeur Kussay, ou encore Souad Massi, ont, ainsi, rendu hommage au poète palestinien.

 « Je suis un amoureux de la poésie, et j’ai eu le bonheur de rencontrer Mahmoud Darwich à trois reprises, dont la dernière quelques semaines avant sa disparition… Il m’avait dit des mots profonds pour Arabesques, et il m’avait vraiment encouragé… », souligne Habib Dechraoui, fondateur du Festival Arabesques, dédié à la rencontre de Arts du Monde Arabe, et initiateur de cet hommage. Pour ce dernier, ce spectacle est un véritable coup de coeur, et une célébration de l’oeuvre immense de Mahmoud Darwich qu’il fallait réitérer.

J’ai été troublé par cet homme, par sa vie, sa douloureuse séparation, son douloureux retour, son exil subi. En 2009, un an après son décès, nous avions déjà fait une soirée autour de Mahmoud Darwich avec plusieurs artistes présents sur le festival. On s’était dit qu’on allait faire comme s’il était encore là. Dix ans après, on remet le couvert ! 

©Luc Jennepin

Une scénographie pertinente

 On débute le spectacle quelque peu décontenancé. Les artistes présentent tour à tour des poèmes : « Mawwal », « Etranger dans une ville lointaine », « Nous aussi nous aimons la vie », etc. Certains d’entre eux, sont clamés accapella, quand d’autres sont accompagnés par la musique. Certains artistes ont choisi l’arabe, d’autres ont préféré le français. Les traductions des textes défilent sur un tableau noir à l’arrière de la scène.

 Si l’enchaînement de ces performances pourrait paraître de prime abord sommaire, voir austère, le silence et la solennité qui planent entre chaque venue des artistes apparaissent bien vite touchants. Il ne faut pas plus de mots que ceux de Darwich pour donner à ce moment toute sa profondeur, et laisser aux artistes l’espace pour exprimer leurs propres vécus de l’oeuvre du poète. En fin de spectacle, un moment d’échange est proposé au public. L’occasion de dire une phrase, une remarque, d’évoquer un souvenir… Et, devinez quoi ? Le public est sans mot.

A l’origine : des souvenirs d’enfances …

Pour les artistes que nous avons interviewés, la première rencontre avec le monde littéraire et imaginaire de Mahmoud Darwich réside souvent dans un souvenir d’enfance. A l’issue de la représentation, Souad Massi se souvient du poème « Le Masque est tombé ». 

C’est un poème très connu ! Le vendredi, on voyait une conférence à la télévision où il clamait ce poème. Et je ne comprenais rien car j’étais jeune ! C’était compliqué de comprendre ce poème car mes parents sont francophones, ils ne parlaient pas l’arabe classique.

De la même manière,  Walead Ben Selim évoque un lointain souvenir, « la première chanson que j’ai chanté de ma vie était  » Je me languis du pain de ma mère », de Marcel Khalifa à partir un texte de Darwich. J’avais 4 ans, ma mère m’avait poussé sur scène.  J’ai vu une audience se lever après mon chant et applaudir le petit enfant que j’étais, mais surtout, l’ombre d’un grand poète tel que lui derrière ma voix » .

Trouver l’interprétation musicale

Premier souvenir de poème, mais aussi premier souvenir sur scène pour le chanteur de N3rdistan, Walead Ben Selim. On le retrouve dans ce spectacle, accompagné à la harpe par Marie Marguerite Cano. Il y propose une interprétation vocale habitée, d’une voix baryton libérée flirtant tantôt avec le rap, tantôt avec l’opéra. Pourquoi la harpe ? Le musicien à l’origine du groupe N3rdistan, s’explique : « La harpe est un instrument magnifique, un pont vertical en direction du ciel avec un code très occidental. Poser des poésies de Darwich dessus est, pour moi, la possibilité d’unir deux mondes qui s’opposent depuis quelques décennies autour du verbe et de la mélodie ».

Puis, le musicien poursuit.  « Il me semble qu’il fallait inscrire les poésies de Mahmoud Darwich dans un cadre moins arabisant et beaucoup plus universel ». Une universalité qui est à l’image de l’oeuvre du poète palestinien : profondément humaine et ouverte au monde.

©Luc Jennepin

A Walead Ben Selim de conclure enfin : « Darwich atteint dans son écriture poétique ce qu’on appelle en arabe A sahl lmoumtani3, (السهل الممتنع), soit  » la simplicité inaccessible ». Il est une école dans le domaine. Une poésie limpide et claire qui m’inspire profondément dans mes compositions, aux côtés de grands noms contemporains tel que Nizar Qabbani ou Ahmed Matar ».

S’il nous faut sans cesse relire Mahmoud Darwich, ce spectacle-hommage a le mérite de donner, de manière simple et accessible, un espace parallèle où apprécier toute la musicalité du poète, et de ceux qu’il a inspirés.

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