Le mois dernier, s’éteignait l’artiste libanaise Saloua Rouada Choucair à l’âge de 100 ans. Les hommages, bien que discrets nous remémorent la singularité de sa production qui lui a permis de se distinguer sur la scène de l’abstraction, s’imposant aujourd’hui comme un repère indispensable de l’art moderne.
Saloua, artiste indépendante et pionnière
Née en 1916, Choucair a fait ses marques auprès de Mustafa Farroukh et Omar Onsi, peintres réalistes incontournables de la scène libanaise collectionnés aussi bien dans leur pays qu’au niveau international. Connus pour leur peinture pittoresque de paysage et de scènes de la vie quotidienne libanaise, Saloua apprendra auprès de ces derniers la couleur, qu’elle retranscrira dans ses compositions abstraites en contrepoint avec les travaux de ses maîtres dès le début des année 40. Sa première exposition, en 1947, à Beyrouth, est considérée comme la première dédiée à l’abstraction dans le monde arabe.
Cette position singulière, dans le monde artistique du Moyen-Orient, l’encourage à voyager pour rencontrer d’autres maîtres de l’abstraction en Europe. Elle intègre, alors, entre autres, l’atelier de Fernand Léger à Paris. Cette rencontre affecte picturalement l’évolution de son esthétisme car elle se retrouve encouragée par ses pairs en France quand à Beyrouth son succès reste encore mitigé.
Un esthétisme scientifique
Théoricienne de l’art, ses sculptures et ses peintures traduisent une réflexion permanente qui mêle concepts artistiques, scientifiques et religieux. Elle s’attache à déplacer les sources occidentales de l’abstraction vers un autre paradigme qui s’appuie sur des préceptes de l’Islam. Dans sa production, la poésie soufie et ses vers autonomes épousent les théories de l’architecture modulaire de la première moitié du XXème siècle, donnant ainsi corps à des sculptures flexibles composées de pièces modifiables.
A l’image de ses inspirations diverses et de l’intensité de ses recherches, l’artiste ne s’est pas limitée à un medium mais navigue entre la peintre, la sculpture, la tapisserie et des installations, questionnant en permanence la pertinence de son cheminement artistique qui s’est proposé comme un renouvellement permanent des sources classiques de l’histoire de l’art. De cette manière, le choix de ses matériaux évolue tout en préservant des thèmes bien définis. Voulant dépasser les modèles de l’époque, elle utilise l’eau pour construire et atteindre avec poésie ses objectifs d’un esthétisme intelligent.
Une reconnaissance tardive mais essentielle
Cette diversité de sources d’inspiration crée un art qui se confond avec la vie de l’artiste et estompe les frontières entre le quotidien et l’art. Investie dans sa dépolarisation de l’histoire de l’art, Saloua Rouada Choucair reste tout au long de sa vie profondément attachée à Beyrouth et au Liban, qu’elle ne quitte pas pendant la guerre qui abreuvait, l’artiste, d’idées de constructions et de reconstructions. Son travail inspire aujourd’hui des artistes du monde entier, l’étendue de ses inspirations proposant autant d’interprétations possibles.
Le souvenir de Saloua Rouada Choucair nous démontre de nouveau combien la réception de l’art s’est toujours confrontée à des points de vue différents d’une région à l’autre, d’une sensibilité à l’autre affrontant souvent des critiques qui peuvent freiner des carrières. Néanmoins, Choucair se distingue par un succès discret qui semble avoir accompagné en douceur la révolution artistique du XXème siècle s’imposant comme un repère indispensable qui annonce les mutations futures d’une histoire de l’art européeano-centrée. Une rétrospective lui avait été consacrée en 2013 par la Tate Modern suivant d’autres expositions organisées au Liban et rendant hommage à l’impressionnante production de cette artiste.