Au lendemain de concerts exceptionnels, qui, comme à l’occasion de la fusion enivrante entre Marcus Miller et le Maalem Baqbou, rassemblent parfois quelques 35.000 personnes; les curieux ont été invités à rejoindre la terrasse de l’alliance franco-marocaine de la ville de Mogador pour échanger directement autour d’un thé à la menthe avec les différents artistes présents. Quoi de mieux pour un réveil en douceur que ces tables rondes conviviales, mises en place par la critique et ethnologue Emanuelle Honorin dès 2006, qui instaurent des débats de fond entre artistes du monde, locaux et journalistes? Nommé « l’arbre à palabre », ce dialogue initié est ponctué de petites séances musicales; pour le grand bonheur des auditeurs.
Une musique au confluent des cultures et des genres
Cette année, nous avons pu écouter l’artiste martiniquais Mario Canongé établir un parallèle entre la musique Gnaoua et celle des Caraïbes. Ainsi, le culte de possession et le rapport au monde surnaturel de la lila, nuit sacrée aux vertus thérapeutiques chez les gnaouas, ont-ils trouvé, d’après ses dires, une résonance toute particulière dans la culture de Cuba.
Puisant leur inspiration à la même source: ce large bassin maternel qu’est l’Afrique de l’Ouest, les deux frôlent les limites du réel et nous immergent dans un nouveau monde où les esprits et Mlouks mènent la valse.
Le mâalem Said Oughassal et le mâalem Mohammed Kouyou qui a été initié au tagnouisme par sa mère, nous ont,quant à eux, confirmé le rôle central qu’occupe la femme dans la cérémonie traditionnelle et le rituel gnaoui. On n’a certes pas vu beaucoup de femmes sur les scènes principales du festival, mais il faut savoir que seule la Mqedma (maîtresse de cérémonie) peut organiser une Lila sacrée. C’est aussi elle qui assure la transcendance pendant la nuit (جدابة), et qui possède la (طبيقة), plateau sacré chargé de l’ensemble des ustensiles que nécessite le rite : encens, offrandes (lait et dattes) et moult tissus aux couleurs des différents Mlouks. Entre le bleu dédié aux esprits de la mer et le noir pour ceux de la foret, les esprits féminins ont eux aussi d’autres codes : Jaune pour la coquetterie de Lalla Mira, rouge pour Lalla Rkia qui a le don de guérir la ménorragie et noir pour Lalla Aicha dont l’arrivée annonce l’approche de l’aube. Cette année, le festival intervient en plein mois de شعبان, période d’avant le ramadan propice à ces célébrations nocturnes mais nous n’avons pu rejoindre les zaouias qui organisent de véritables nuits intimistes où l’aspect mystique et sacré prennent le dessus sur la part folklorique. Cela a d’ailleurs été une question soulevée par plusieurs personnes qui s’interrogent sur la possibilité de la cohabitation des deux mondes (visible et invisible) sur les scènes du festival où la trame musicale omet et annule l’aspect thérapeutique.
S’agit-il d’une dénaturation ou d’une complémentarité? Les avis divergent sur ce rapport particulier entre la tradition animiste du rituel sacré et le profane.
La relève
Le groupe -سفارة الخفاء – littéralement :Ambassade de l’invisible, nous venaient quant à eux de Montpellier pour partager leur amour de tagnaouite.
Dajahdee, chanteur et accessoirement joueur de guembri et de qraqeb, avait lui, eu le coup de foudre pour cette musique lors de son séjour à Essaouira au cours duquel il avait eu l’occasion de s’initier à cette tradition auprès du maalem Azzouz Soudani. Avec d’autres artistes, ils composèrent le collectif Gnawa Tribe qui deviendra le premier groupement non-marocain maitrisant la syncope de cette musique traditionnelle et ses règles spécifiques.
Photo : Sabir El Mouakil