Quand on parle de cinéma égyptien on pense souvent à du divertissement, des comédies, ou encore des films avec Tamer Hosni à l’affiche. Même si cela n’est pas forcément vrai, le cinéma égyptien n’en reste pas moins une vraie industrie, qui fait des millions de chiffres d’affaires et qui rayonne sur tout le monde arabe. On est souvent loin du cinéma engagé, du cinéma d’auteur et de la perle qu’est Les femmes du Bus 678.
Sorti quelques mois avant la révolution égyptienne, réalisé par Mohamed Diab, un réalisateur engagé qui prendra part aux manifestations de la place Tahrir, et qui s’exprimera d’ailleurs dans un reportage d’envoyé spécial à propos du harcèlement sexuel en Egypte, Les Femmes du Bus 678 met la lumière sur un fait dont on commence tout juste à parler aujourd’hui dans le monde Arabe, surtout après le soulèvement des peuples. Mohamed Diab s’inspire de faits réels pour réaliser son film, puisque le harcèlement sexuel restera impuni en Egypte jusqu’en 2008 où une jeune femme, Noha Rushdi, gagne un procès contre son agresseur.
C’est de ce procès que parle le film, tout en le liant au destin de trois femmes, trois victimes. Le film de Diab tourne autour de ces trois personnages féminins, toutes sont centrales dans le message, toutes les trois ont un rôle à jouer et toutes les trois représentent en quelque sorte des archétypes de la société égyptienne.
Dès les premières minutes du film, on est face au sujet, l’affreuse scène du bus où un homme se permet des attouchements sexuels sur Faiza, qui même drapée sous son hijab n’y échappe pas et qui, face à la pression de la société et à la honte, ne dit rien. C’est à peine si elle change de place pour que son agresseur la poursuive pour continuer ses agissements. Le ton est donné, 678 (en VO) est un film sur le harcèlement sexuel, mais pas seulement. A travers sa façon de raconter l’histoire, Diab nous permet aussi de voir une société divisée, en manque de repères, dont l’unité n’est que précaire, c’est un problème récurrent dans beaucoup de pays arabes, notamment le Maroc, qui balance entre modernité occidentale, religion, tradition…
Et c’est à travers les personnages que Diab nous montre cette division, Seba, la riche militante féministe qui organise des groupes de discussion, et qui veut aider les autres femmes, fait face à une résistance de la part des milieux conservateurs, milieu conservateur qui lui est représenté par Faiza, voilée, modeste qui se bat pour payer l’éducation de ses enfants, c’est elle qui subit les agressions chaque jour dans les bus, dans la rue. La troisième femme est peut-être la plus intéressante, Nelly, c’est par elle que le changement va venir, elle représente la classe moyenne, fiancée, c’est elle qui décidera de déposer une plainte pour agression sexuelle, la premier dans l’histoire de l’Egypte, faisant face à tout le monde, autorités, société et même sa propre famille.
L’homme occupe lui aussi une place importante dans le film, c’est en même temps l’agresseur, le fiancé, le mari et le policier, dans ce sens Les femmes du bus 678 n’est pas un film contre les hommes, puisque l’homme n’est pas présenté que comme prédateur sexuel mais bien sous différentes facettes, lui aussi a ses questionnements. Tout comme Faiza, Nelly et Seba, aucune des trois n’est au fond sûr du bien ou du mal, une scène où Faiza reproche à Seba de porter des vêtements « trop courts » en est la preuve. Chacune essaie de changer les choses à sa façon.
Un autre point important, comme dans la plupart des films égyptiens, le jeu d’acteur est excellent, la performance la plus marquante est peut-être celle de Bushra (Faïza), impressionnante de justesse, tandis que Maged El Kedwany (l’inspecteur) profite d’un rôle taillé à sa mesure (il recevra le Best Actor Award au Dubai International Film Festival pour ce rôle), la réalisation est propre, le montage est intelligent.
Les femmes du bus 678 est un film marquant par son discours, par ses scènes d’un réalisme frappant. Diab a fait un travail presque documentaire, plus qu’un film, son œuvre est une capture précise et fidèle de l’état de la femme dans les sociétés du monde arabe et plus généralement de l’état des sociétés arabes d’aujourd’hui.
Visionnez le trailer du film :
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