Le théorème de Néfertiti à l’IMA – Itinéraire de l’œuvre d’art : la création des icônes

Jusqu’au 8 septembre 2013, la nouvelle exposition de l’Institut du Monde Arabe, Le Théorème de Néfertiti, vous propose de retracer l’itinéraire de l’œuvre d’art depuis sa conception dans l’atelier de l’artiste jusqu’à l’appropriation du public en passant par l’agencement muséal. Pour illustrer le parcours de l’œuvre d’art, l’exposition comprend trois sections qui représentent les trois étapes majeures dans le développement de l’image d’une œuvre : la section artiste qui nous replonge dans le contexte historique de la création, la section musée qui nous questionne sur le rôle du mode de présentation et la section public qui nous invite à créer des récits au-delà du cadre spatio-temporel de l’œuvre d’art.

Découvrez les coups de coeur d’Anouar El Anouni et Hajar Chokairi pour chaque section de l’exposition.

Section artiste

William Kentridge – Man with a Sphinx (2010)

Il s’agit de l’œuvre qui incarne le mieux la mission de la section artiste de l’exposition puisqu’elle révèle toutes les dimensions du processus de création d’une œuvre d’art. Ainsi, le spectateur se rend compte des obstacles auxquels se heurte l’artiste lors de la conception. La finesse des lignes imperceptibles vient résorber la grossièreté du nuage de fusain et témoigne sans doute de l’influence de Léonard de Vinci. Cette subtilité permet au spectateur de comprendre que toute œuvre d’art constitue la résultante de négociations formalistes et d’influences historiques.

Bassem Yousri – Ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air (2012)


Ces petits bonshommes, qui jalonnent le parcours du spectateur tout au long de l’exposition, n’ont autre but que d’interroger le spectateur sur son appropriation de l’œuvre d’art. En effet, ces petits bonhommes primaires constituent les caricatures des spectateurs qui saisissent  le sens des œuvres de manière superficielle, au mieux par l’intermédiaire de l’index qu’ils pointent machinalement. Comme en témoigne le nom de son œuvre, Bassem Yousri nous invite à adopter une approche différente en repensant notre regard pour saisir la quintessence de l’œuvre d’art. 

Vik Muniz – Tupperware Sarcophagus (2010)

Comment ne pas esquisser un sourire à la vue de cette momie grandeur nature qui repose silencieusement dans un tupperware en plastique dont la forme s’apparente à celle des sarcophages traditionnels de l’Egypte ancienne? L’intérêt de cette œuvre qui attire immédiatement le regard réside dans le subtil détournement de ce qui est une icône antique chargée d’associations en un objet de la vie quotidienne. L’œuvre prend alors toute sa signification au sein du parcours initiatique de l’exposition car elle montre comment un objet à vocation utilitaire associé à la conservation des aliments peut devenir une œuvre d’art à part entière simplement en revêtant une forme inattendue.

Mais si cette sculpture fait prendre conscience de l’aura mystique qui entoure les sarcophages et nous révèle la difficulté de les voir sous un jour nouveau, elle recèle également une dimension métaphorique car elle invite le spectateur à cesser de congeler l’Egypte dans l’image de son passé. Ainsi, Muniz prend-il part au débat sur l’art contemporain en brisant les codes de la monstration visuelle et revisitant le récit qui encadre ce beau pays qu’est l’Egypte.

Mahmoud Mokhtar – Al Qayloulah (1928)

Avec cette sculpture, Mokhtar attire notre attention en représentant non pas un modèle qui prend la pose mais une personne anonyme dans une position naturelle n’ayant pas conscience de servir de modèle. Cette approche nous révèle comment une posture naturelle qui n’a pas vocation à être exposée aux regards de tous peut constituer une œuvre d’art à part entière en lui conférant cette mission. En cassant brillamment les codes inhérents au modèle, Mokhtar nous propose une morale qui s’élève bien au-delà de la sphère artistique : la notion de valeur ne découle que du regard que l’homme décide de poser sur le monde.

Section musée

Ai Weiwei – Coca-Cola vase (1997), Grayson Perry – Wise Alan (2007), Coupe ornée (XIIIème siècle)

Cette juxtaposition de trois vases, de périodes différentes, révèle l’ambition de l’exposition à créer de nouveaux récits grâce au mode de présentation des œuvres d’art. En effet, le spectateur est d’abord surpris puis intrigué par cette association anachronique, qui le pousse à redéfinir la notion de contemporanéité.

Qu’est ce qui nous apparaît comme contemporain ? La céramique lustrée, la coupe ornée ou le vase Coca-Cola ? L’exposition n’a autre but que de soulever des questions auxquelles la subjectivité du spectateur apportera des réponses.

Comment regarde-t-on l’œuvre d’art ? Cette juxtaposition, en aucun cas hasardeuse, semble indiquer justement que les artistes, bien que d’époques différentes, ont subi des influences historiques. Prendre en compte le flux temporel, c’est ce que nous suggère cet agencement muséal.

Section public

Ghada Amer – Salon Courbé (1963)

L’œuvre iconoclaste avec laquelle nous avons choisi de clôturer ce tour d’horizon des objets artistiques qui ont retenu notre attention au fil de l’exposition est Salon Courbé de Ghada Amer. A première vue, on découvre avec cette œuvre un salon chaleureux aux couleurs accueillantes  qui s’inspire directement du motif des salons cairotes du XIXe siècle.

Brodés de fil rouge, les canapés qui encerclent un tapis multicolore se révèlent sous un autre jour dès lors qu’on s’en approche davantage. On peut alors lire le mot خوف (terreur en arabe) qui tapisse toutes les surfaces et se déchiffre ça et là.

Glacés d’effroi, nous nous sentons presque coupables d’avoir trouvé belles les coutures rouges qui se métamorphosent immédiatement en sang dans l’œil du spectateur et l’obligent à porter un nouveau regard sur cette œuvre.  C’est à l’idéologie anti-terroriste post 9/11 que s’attaque l’artiste en montrant que celle-ci s’est glissée dans notre psyché et a annexé les espaces les plus personnels et privés. Ghada Amer dévoile ainsi ce que devient l’objet d’art par delà le lieu et le temps de sa production, il dépasse en effet l’enceinte muséale qui le retient et s’inscrit dans les récits collectifs qui participent de l’élaboration d’idéologies. Cette œuvre est donc porteuse d’un message car elle invite à se débarrasser de l’association d’idées entre monde arabe et terrorisme en montrant que celle-ci s’est ancrée dans les esprits à tel point qu’elle empêche de percevoir la beauté et la richesse de cet univers.

Article réalisé en collaboration avec Anouar El Anouni.

Un commentaire

  • Zzouiii dit :

    Votre compte-rendu est absolument excellent, une synthèse bienvenue avant, ou après, la visite de l’expo. J’y suis allé, et j’ai été un peu dépassé par le discours curatorial qui couvrait les expressions singulières des artistes, les occultant parfois. Je vous encourage à poursuivre vos efforts, merci !

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