C’est en plein centre ville de Rabat que le Cube, independent art room s’est installé. Elisabeth Piskernik, maitresse des lieux, nous a accueilli dans cet espace qui a fortement participé à l’émergence d’une scène artistique contemporaine au Maroc.
La naissance du Cube
De par sa formation de linguiste et d’historienne d’art, Elizabeth a un fort attachement à la transmission du savoir. Elle a longtemps tenu une galerie à Vienne avant de venir s’installer au Maroc en 2004 pour créer un centre culturel autrichien à Rabat.
L’espace comptait une bibliothèque et une petite salle de 10m2 qui s’était rapidement métamorphosée en espace d’exposition. Elizabeth rencontrait alors des artistes dont les propos contemporains sont peu conventionnels et souhaite leur donner un lieu à exploiter.
Pour répondre à cette ambition, le Cube ouvre en 2005. Les prophètes créatifs se voient alors offrir une plateforme unique pour donner libre court à leur imagination.
Le Cube était l’un des pionniers, auprès d’autres rares acteurs telle que la Source du Lion à Casablanca, à dynamiser un tissu artistique encore fragile.
Se positionnant comme une véritable vitrine à but non lucratif, le Cube donne carte blanche aux nombreux ressortissants des beaux-arts qui frappent à ses portes. Cette initiative convainc les jeunes créateurs, et se fait connaitre en soutenant et favorisant une création libre et inspirée. En effet, le Cube est l’incubateur de plusieurs projets inédits, accueillant, depuis 10 ans, 83 projets menés avec des artistes provenant d’une dizaine de pays.
Ce foisonnement productif participe à fidéliser un public nombreux et diversifié.
+212 au bout du fil
Le collectif 212 est ainsi une belle émanation de l’engagement du Cube à soutenir des créateurs jeunes et dynamiques. Les 7 artistes que rassemblera plus tard le collectif, portant comme nom l’indicatif téléphonique du Maroc, réfléchissaient à un projet d’exposition mais ne disposaient pas d’un atelier pour travailler.
Consciente de leurs atouts et voulant encourager leur démarche peu classique, Elisabeth décide de leur dédier le Cube qui devient désormais un espace d’art indépendant où les résidences se succèdent.
Leur exposition 30*30 attire une grande attention et fait couler beaucoup d’encre tant au niveau national qu’international. Repérés par des commissaires, certains membres du collectif seront par la suite représentés par des galeries internationales, exposés dans le cadre de grandes expositions et feront même leur entrée dans des collections muséales.
Younes RAHMOUN, Jamila LAMRANI, Safaa ERRUAS, Imad MANSOUR, Hassan ECHAIR, Amine BENBOUCHTA ou encore Myriam MIHINDOU seront ainsi les noms en lettres d’or dont l’éclosion est liée à celle du Cube.
Une création au féminin
Dans une société machiste où la situation de la femme répond souvent à un fort déterminisme, la place consacrée aux artistes-femmes est assez étroite. En effet, à la complexité et austérité du secteur s’ajoute le problème d’autocensure.
Ce constat a été relevé par Elizabeth lors d’une exposition en Belgique qui présentait les artistes du monde arabe dans un contexte post-printemps arabe. A l’heure où les yeux du monde se rivent sur cette région, Elizabeth est révoltée par l’absence totale d’une représentation féminine marocaine. Depuis, elle multiplie les efforts et les collaborations pour promouvoir et soutenir les artistes femmes.
Donnant du sien et mêlant institutions, ambassades et autres associations pour couvrir une partie ses dépenses, Elizabeth tient à pousser cette création artistique sylphide et empêcher que ces femmes abandonnent.
« Ici, beaucoup de femmes sont obligées de négliger leur passion artistique pour faire autre chose, ou au mieux devenir professeur. » nous confie Elizabeth, qui enchaine « c’est un défi aujourd’hui pour moi que de repérer de jeunes femmes talentueuses et développer leur carrière artistique ».
Le militantisme d’Elizabeth ne s’arrête pas là. Outre son engagement pour dévoiler la force subtile de la création émanant des femmes, elle met en place des programmes différents ouvrant grand les portes du Cube et y fêtant l’art contemporain au quotidien.
Une programmation sempiternelle
Pour faire vivre cet espace, le Cube développe plusieurs programmes au service des différents maillons artistiques.
Quand The curator zone invite des commissaires d’exposition pour qu’ils puissent monter des projets innovants, le New Generation of art s’adresse à de très jeunes artistes qui n’ont pas encore eu l’occasion d’exposer individuellement et les Artstalk donnent le micro aux artistes pour qu’ils puissent parler de leur travail.
Le public vient ainsi à la rencontre de propositions d’un nouveau genre tout au long de l’année. Et pendant l’été, lorsque le Cube ferme pendant 2 mois, ses recoins sont occupés par un artiste dans le cadre des Summer sleep.
Ce projet d’été, dédié aux artistes marocains, transforme le Cube en atelier qui propose aux artistes les meilleures conditions de production. Une réflexion sans contrainte est alors menée lors de cette retraite artistique et aboutit à une restitution à la fin. De cette liberté se dégage beaucoup des travaux débordants de créativité.
La Vidéo night est quant à lui un projet qui a commencé en 2011, à une époque où cet art n’était pas encore promu au Maroc. Le Cube participe ainsi à augmenter la production vidéo du pays et déploie des efforts de médiation pour créer de fortes interactions avec les publics.
Démantelant l’idée de « tour d’ivoire » que peut représenter un espace artistique, le Cube a choisi de s’installer dans un immeuble résidentiel et implique ainsi un public, bien que non averti, très intéressé. Selon Elizabeth, « le public marocain est très curieux et le Cube se situe comme un médiateur pour l’initier à des mediums différents, notamment la vidéo. »
Enfin, lorsque l’occasion se présente, le Cube développe aussi des projets à l’intention des scolaires. Des ateliers ludiques sont mis en place pour faciliter la compréhension des œuvres à des enfants de 5 à 15 ans.
En 2008, la proposition d’une médiatrice allemande de la galerie Für Zeitgenössische Kunst à Leipzig a été retenue pour développer un projet profond à destination d’un groupe d’élèves de la ville voisine, Salé.
En s’inspirant d’une exposition qui avait déjà eu lieu au Cube, le nouveau programme incitait les élèves à prendre conscience de leur environnement et à porter une grande attention sur tout ce qui les entourait pour aboutir à la production d’une nouvelle exposition par leurs petits soins.
Cette expérience est restée gravée dans la mémoire de tous les participants qui, en traversant le pont entre Salé et Rabat, découvraient le Cube avec beaucoup de curiosité. Après la rencontre d’Elizabeth (rousse) et de la médiatrice Lena Seik (blonde), ils rapportaient avec enthousiasme, à tous ceux qui voulaient l’entendre qu’en l’espace d’une journée, ils s’étaient rendus à l’étranger.
WTNOTN : l’exposition de la nouvelle saison
Lorsque nous avons souhaité visiter l’appartement Le Cube, c’est Karima Boudou et Sofiane Ababri qui se sont substitués à la propriétaire des lieux. En plein accrochage de la future exposition qui a l’Egypte antique comme trame de fonds, la curatrice et l’artiste ont accepté de nous en dire plus sur l’exploration qu’ils mènent et dans laquelle ils souhaitent embarquer les visiteurs.
Sous un format novateur, le WTNOTN : What’s The Name Of This Nation sera aussi un magazine édité en continuité de l’exposition. Soufiane nous confie vouloir « contaminer l’extérieur » pour que chaque visiteur puisse emmener un bout du Cube chez lui.
S’inspirant du titre d’une chanson du producteur de hip-hop américain « Africa Bombaataa », le sujet de réflexion de l’exposition est porté sur l’identité africaine avec l’Egypte antique comme point d’ancrage d’une identité multiple.
La multiplicité et la diversité distinguent d’ailleurs l’équipe du WTNOW, son mode de travail et son format final. Conçu comme un véritable projet collaboratif, ses rangs ont rassemblé aussi bien des chorégraphes que des poètes et artistes pour qu’ils puissent tous apporter des bouts de témoignages qui se répondent.
En travaillant à distance avec des artistes tels que Fred Willson ou encore Lorraine O’Grady, Karima et Soufiane se rendent compte que le lien à l’Afrique est commun mais que l’approche de chacun des intervenants au magazine est différente. Le parti pris reste néanmoins le même: éclater les a priori et les frontières mentales à travers ce projet.
Images d’archives, installations vidéo, photographies et collages seront présentés au WTNOW dont le vernissage se tiendra le 9 octobre prochain. Des conférences et ateliers se succèderont pendant un mois créant ainsi l’effet d’une nébuleuse culturelle dense.