Un dictionnaire arabe basé sur l’étymologie et l’anthropologie nous aiderait à redécouvrir cette langue et proposer une explication alternative, plus riche d’histoire comme de sens.
J’avais neuf ans lorsque je m’interrogeais pour la première fois sur la langue arabe. Alors intrigué par l’origine du mot « أخ » frère, j’en demandais l’explication à mon professeur qui se contenta de me renvoyer au dictionnaire, lequel ne renvoyait, lui, à rien d’autre qu’à sa définition… J’avais répondu que ce n’était pas ce que je cherchais : la définition était évidente pour moi comme pour le reste de la classe… Ce que je cherchais alors sans en connaître encore le terme adéquat, c’était l’étymologie, l’histoire du mot. La réponse du professeur ne m’avait pas satisfaite. Selon lui, les Arabes ont toujours parlé (arabe) et les définitions n’ont jamais été un problème pour personne. Peu convaincu, il m’a fallu attendre quelques années pour comprendre que « notre » connaissance de l’arabe commence à partir de l’avènement de l’Islam, alors que l’histoire d’une langue ne peut se réduire à 1400 ans d’existence.. C’est comme si, du jour au lendemain, on s’était mis à écrire en arabe, comme par magie ou par intervention divine ! Comme si des tribus qui depuis toujours n’avaient communiqué qu’oralement s’étaient soudainement décidées à retranscrire leurs pensées noir sur blanc ! L’écriture ne peut pas s’inventer du jour au lendemain… et pourtant, il n y a pas de trace d’une littérature arabe écrite avant le Coran. (Selon la tradition, il existerait cependant une série de poèmes préislamiques sous le nom de Mu’allaqāt (المعلقات), mais nous ne retrouvons pas de traces de ces textes—en l’occurence, la première version qui atteste son écriture avant l’avènement de l’islam reste introuvable; donc nous nous baserons sur le premier écrit attesté par les historiens et les anthropologues sérieux: le Coran). On sait pourtant que le prophète de l’Islam ne savait ni lire, ni écrire. Ce qui sous-entend, par contraste, que certains de ses contemporains le pouvaient. Alors, avons-nous des traces d’une écriture arabe antérieure au Coran ? La réponse est non. Cette vision des choses laisse supposer que l’arabe serait apparu ex-nihilo. C’est-à-dire qu’il serait apparu a partir de rien ! Or « ex nihilo nihil fit », « rien ne vient de rien » quoique beaucoup de personnes semblent penser que cet axiome ne s’applique pas à cette langue. Il n’est dès lors pas étonnant que l’on ne puisse comprendre certains mots en arabe, certaines incantations comme Aliph Lam Meem, certains passages de la littérature et de la poésie arabe car parfois, les mots ont tout simplement perdu leur sens originel. La raison en est toute simple : en l’absence d’étymologie, la définition d’un mot peut être remaniée en fonction du bon vouloir ou de l’imagination de chacun ! Mais comment, comment avons-nous pu laisser passer de telles aberrations ? Ce que je peux affirmer ici, c’est que l’on peut faire l’étymologie de l’arabe à la manière de ce qui se fait généralement pour les langues occidentales (à partir, entre autres, du latin et du grec).
Chaque entrée des dictionnaires occidentaux standards est suivie d’une étymologie et fait remonter autant que possible l’origine du mot à sa source, ce qui permet d’en saisir toute les subtilités. Le but étant de montrer la multitude d’idées qu’il représente, ainsi que l’évolution de son sens. Le mot n’est jamais suffisamment compris lorsque l’on se contente de s’arrêter à sa signification usuelle et superficielle. Or justement, Le dictionnaire arabe dans sa globalité manque totalement d’exhaustivité en ne présentant aucune étymologie. Pourquoi alors nous en abstenons-nous ? Est-ce pour des raisons linguistiques, politiques, religieuses, culturelles ou simplement par ignorance ? J’ai quelques théories là-dessus mais je préfère vous laissez le soin de juger par vous-même.
Au commencement, il y avait la Mésopotamie ; berceau des civilisations, de l’écriture, du verbe et de la pensée. Le verbe cache une sagesse et une histoire. Il n’est de plus beau voyage que celui d’aller à la rencontre de celles-ci. Ce voyage dans le temps nous fait découvrir cette langue : l’ancien araméen. Elle est connue pour être le langage des peuples sémites qui vivaient dans l’ancien Proche-Orient. Son alphabet a largement inspiré les langues sémitiques et l’on peut aujourd’hui affirmer qu’il est l’ancêtre de l’alphabet arabe et également de l’alphabet hébreu. (Je cite l’hébreu ici car nous allons beaucoup travailler avec cette langue pour mieux analyser et décortiquer l’arabe). Comme dit plus haut, il n y avait pas de texte arabe ni de littérature arabe écrite avant le Coran, mais il existait des formes d’écritures cursives très similaires à celle-ci comme le syriaque, variante de l’araméen. Beaucoup de théories avancent d’ailleurs que les Arabes se sont servis de l’alphabet araméen dans sa variante nabatéenne ou syriaque pour créer cette formidable écriture complexe et raffinée. Il est intéressant de constater la ressemblance entre le syriaque et l’arabe (cf. première photo). Mais pour comprendre une langue, il ne suffit pas de faire le pont avec une autre forme d’écriture… Ce n’est pas suffisant. L’intérêt de remonter l’histoire et d’étudier les langues sémitiques est assurément de faire l’étymologie des mots arabes. Si l’on prend l’exemple du dictionnaire français, le mot frère provient de l’ancien français frere, du latin frater et de l’indo-européen commun bʰréh₂tēr (qui fait rappeler brother). « Probablement dérivé de *bʰer-(« porter ») ; le dictionnaire étymologique latin, par équivalence avec ph₂tḗr, méh₂tēr « père, mère » dont le sens intrinsèque semble être « nourricier », lui donne le sens de « protecteur », essentiellement parce que « en grec il a été remplacé dans l’usage ordinaire par ἀδελφός, adelphós, qui est proprement un adjectif signifiant « utérin», de la même racine φράτηρ, phrátêr, φρήτωρ, phrêtôr ont pris un sens religieux et politique. » Cette étymologie nous donne un aperçu de l’évolution du mot ainsi que de sa portée et de son sens profond. Son équivalent en arabe est le mot أخ/aḫ/.
Quand on se penche sur le dictionnaire classique de la langue arabe pour l’étudier, nous trouvons cette explication : « Un enfant ou un adulte issu du même père et de la même mère ». Certes, ceci explique bien la chose, mais comparé au travail étymologique fait sur le mot « frère » en français, nous avons l’impression ici que son équivalent arabe est tombé du ciel. Que ce mot, encore une fois, a toujours existé ou a été inventé juste pour la langue arabe ! Mais regardons de plus près ce que nous pouvons gagner en compréhension en faisant l’étymologie du mot à partir des systèmes d’écriture sémitiques qui sont, bien entendu, plus anciens que l’arabe : Le mot أخ trouverait racine dans le proto-sémitique. Mais l’on peut faire l’étymologie du mot également à l’aide de l’hébreu ancien אָח */ɑħ/, soit le même mot sans le point diacritique sur la lettre, ḥāʾ. Il faut savoir que l’arabe s’écrivait à ses débuts (inspiré du syriaque) sans points sur quelques lettres et sans signes diacritiques. Petite parenthèse ici : si l’on prend le Coran – premier livre écrit en arabe – pour exemple, certains points diacritiques (nokate) et signes diacritiques (achakle) n’ont été rajoutés qu’ultérieurement, et n’étaient pas présents dans ses premières versions. L’on remarque en effet dans celles-ci (cf. photo du Coran), visibles dans certains musées comme le musée Topkapi en Turquie, l’absence de signes et de certains points diacritiques présents dans la version contemporaine. Il faut savoir que l’ajout ou la suppression d’un point peut transformer complètement la signification d’un mot. Bien entendu, il y a eu une évolution de la langue arabe mais comment savoir si l’on a pas oublié ou ajouté un point ou un signe par mégarde ? Il me semble que si nous avions un système étymologique, nous n’aurions aucun doute sur la provenance des mots et la justesse des phrases.
Pour revenir à l’étymologie, le mot ɑħ en hébreu se compose de deux lettres, le Aleph א et le Het ח. Dans l’alphabet phéniciens, ancêtre de l’araméen, de l’hébreu et de l’arabe, chaque lettre a une signification. Le Aleph symbolise la source et la force et le Het, comme en arabe, signifie une barrière, un mur. La combinaison de l’aleph et du Het nous donne cette métaphore : issus de la même source, mais séparés par un mur. Le sens profond du mot se dévoile: ne faudrait-il pas briser le mur qui sépare les frères et les sœurs pour se retrouver véritablement? Car souvent, il existe une barrière psychologique qui sépare socialement les frères et les sœurs et il faudrait travailler cette proximité pour construire une véritable relation d’amour qui ne serait pas que biologique. Dans le même ordre d’idée, l‘étymologie du mot père أب est également intéressante. En araméen ou en hébreu toujours, la lettre bet ב, comme le mot arabe bayt, désigne une maison. La combinaison de l’aleph et du bet, de la force, et de la maison, nous apprend que le père est le garant de la maison et de la famille. Nous pouvons transformer dès lors notre langue et être plus conscient du message qu’il porte. Durant mes voyages, je me suis beaucoup intéressé aux religions et au voyage de la sagesse. L’Islam étant la suite ou le « complément » des deux grandes religions monothéistes, il n’est pas rare de trouver des similitudes entre les formules de prières chez les peuples de la péninsule arabique car la source du langage est la même : le proto-sémitique. L’idée n’étant pas de faire du syllogisme ou de la concordance, mais plutôt d’essayer modestement d’expliquer certaines significations de mots parfois inconnues à ce jour. Ainsi nous pouvons faire un travail étymologique sur le premier mot de la sourate de « La vache » : Aliph, Lam, mim, qui est sans aucun doute l’un des mystères du Coran. Sachant que l’arabe découle des anciennes langues sémitiques et en particulier de l’araméen, nous pouvons essayer de comprendre ces lettres via cette langue, car comme dit plus haut, chaque lettre porte une signification. Aliph, ou Aleph en araméen ancien, symbolise la force, mais également un bovin, plus spécifiquement le bœuf ou la vache. D’ailleurs, le premier idéogramme utilisé pour représenter la lettre Aleph dans l’alphabet phénicien symbolisait la tête d’un bovin. Nous pouvons faire un raccourci intellectuel avec le nom de la sourate : La vache. Lam, ou Lamed en phénicien, ancien araméen et hébreu symbolise le bâton et le mem symbolise l’eau. Nous pourrions faire le lien avec l’histoire de moïse relatée dans cette sourate ainsi que de son bâton dont il s’est servi pour scinder les eaux mais je préfère ne pas tirer de conclusions, car l’idée ici est de présenter un système étymologique capable de comprendre les mystères de la langue arabe. Quelques rabbins de la péninsule arabique et plus précisément du Yemen, avaient pour coutume de prier en araméen avec des incantations se composant uniquement d’abréviations et ALM (Aleph Lamed mem ou Aliph lam mim) figure parmi ces incantations et désigne « Dieu des délivrances ». On trouve également dans leurs incantations beaucoup d’abréviations qui ressemblent aux invocations, incantations et formules présentes dans le Coran car prier dieu, Allah, Allaha (araméen), Eloah, elohim, el (hébreu), ilu (akkadiens)…est universel. En clair, si nous pouvions proposer un dictionnaire arabe basé sur l’étymologie et l’anthropologie, nous pourrions alors redécouvrir pleinement cette langue et proposer une explication alternative, plus riche d’histoire comme de sens !