Avec sa collection « jours tranquilles », les éditions Riveneuve ont fait le pari de raconter une autre facette de villes comme Gaza, Kaboul ou Le Caire en publiant les récits personnels d’auteurs solidement ancrés dans ces territoires.
Ces derniers nous livrent leurs réflexions au gré des événements, les anecdotes intimes s’entremêlent aux reportages de terrain et aux dépêches de style télégraphique, balisant ainsi le récit de repères chronologiques. Sous la plume de Mélanie Matarese et d’Adlène Meddi, nous voici transportés à Alger mais également à l’Ouest, aux portes du désert, à Constantine ou encore dans la vallée du M’Zab.
Alger. De l’autre côté de la rive, à quelques heures de traversée de sa jumelle Marseille. Alger, capitale d’un pays si proche mais qui demeure si mystérieux. En effet, au-delà d’une classe politique sclérosée à l’image du président Bouteflika, que sait-on réellement de l’Algérie, du quotidien de ceux qui y vivent en 2016 ? L’Algérie serait-elle une énigme, un labyrinthe ? Si tel est le cas, l’ouvrage d’Adlène Meddi et de Mélanie Matarese entend nous donner des clés afin d’appréhender ce « pays des maquis qui errent où l’essentiel n’est pas sous les yeux » comme le dit si bien Kamel Daoud dans la préface du livre.
Jours tranquilles à Alger dresse un portrait de l’intérieur de la société algérienne, par des amoureux de leur pays, natal pour Adlène Meddi et adoptif pour Mélanie Matarese. Les chroniques alternées des deux rédacteurs en chef d’El Watan Weekend au ton doux-amer laissent entrevoir au lecteur la réalité complexe de cette jeune nation qui a arraché son indépendance dans le sang mais qui attend toujours sa véritable libération.
Alger, la lumière magique de sa baie au petit matin et la pénombre de la décennie noire qui hante encore la mémoire de tous les Algériens. C’est un peu ça l’Algérie, un ascenseur émotionnel : on y passe du rire aux larmes, de l’espoir à la résignation, de la beauté à la terreur… Quand on parle d’espoir on repense à ce jeune commissaire qui devant la peur de perdre sa petite fille malade commença à lui écrire tous les soirs dans un cahier d’écolier pour conjurer le sort et qui poursuit l’exercice depuis trois ans avec l’intention de lui remettre comme cadeau de mariage. Et il y a aussi les plaisirs simples : le couscous de printemps apporté par une collègue pour fêter la promesse des beaux jours à venir, le charme désuet des hôtels de l’intérieur du pays au kitch inégalable, l’ambiance des cabarets où la voix alcoolisée des cheb se mêle aux déhanchés des entraîneuses dansant cigarette à la bouche…
Ici la débrouille s’affiche en tant que sport national et concerne tous les domaines, notamment celui des femmes voulant être sexy malgré le hijab (baptisées du néologisme hidjabitch) et qui rivalisent d’ingéniosité pour choisir des atours qui susciteront l’indignation des barbus.
La recherche du breuvage menant à l’ivresse, elle, relève non pas de la débrouille mais davantage de la quête du Graal. On ne peut qu’esquisser un sourire en lisant l’épisode de Mazen, musicien libanais, exprimant son incompréhension devant la vie nocturne algéroise et les difficultés pour trouver de l’alcool. En effet, lorsqu’on est familier des nuits de Beyrouth, celles d’Alger s’apparentent à de l’ascèse… Face aux délices interdits, Alger se drape dans ses oripeaux d’austérité.
Alger est pour moi un musée, une réminiscence faite ville, tout ce passé berbère, arabe, colonial, socialiste, La Mecque des révolutionnaires, la Casbah et les pirates, tout ça piégé dans le même espace, c’est fascinant.
lâche Rasha lors d’une promenade sur les hauteurs de la capitale.
Cette amie curator d’Adlène Meddi, installée entre Beyrouth et New York, s’est pourtant vue refoulée par la bureaucratie algérienne lorsqu’elle tentait d’expliquer son projet de promotion du cinéma algérien dans les cercles culturels américains. Décidément, l’idée devait paraître trop saugrenue pour être prise au sérieux par les fonctionnaires de la Cuba arabe…
Au fil des pages décrivant tour à tour paysages et personnages, on ne peut s’empêcher de penser que l’Algérie vit un moment clé de son histoire. Un moment barzakh. Ce terme définit la limite des mondes physique et spirituel mais aussi l’état intermédiaire entre la mort et la résurrection. L’Algérie serait donc suspendue à son destin, pouvant choisir de basculer dans un camp ou dans l’autre… Les Algériens eux, feront en fonction. Quel que soit son choix, les paroles de Lili Boniche continueront de résonner dans leurs cœurs, qu’ils soient exilés ou demeurés au pays : « Alger, Alger chhal n’habha »[i].
—
[i] Alger, Alger, combien je l’aime.