Depuis son retour en terre natale, Algérie et quête de soi sont indissociables pour la photographe franco-algérienne Lynn S.K. Voyage photographique au cœur de l’Algérie, dans l’étoffe du rêve, du souvenir et de l’imaginaire, autour de la quête de soi, la quête de l’origine et l’identité féminine.
Saisir la complexité d’un pays qui échappe aux définitions simples
Explorer l’Algérie, ce grand pays secret, multiple et équivoque : c’est naviguer dans des eaux troubles, de la mer au désert, en traversant leurs entre-deux. L’Algérie est comparable à une ruine romanesque : la beauté y est évanescente, tout menace de s’écrouler. C’est aussi la terre de la déchirure et de l’arrachement, que l’on aime mais qu’on a dû fuir.
« Il y a dans la nostalgie algérienne, quelque chose de l’ordre du paradis perdu »
Lynn S.K. est une photographe franco-algérienne, basée à Paris. Elle a dû quitter l’Algérie à l’âge de sept ans avec ses parents, pour fuir la guerre civile. C’est après de longues années d’absence, qu’elle retrouve sa terre natale, « après un cheminement mental qui a mené à un cheminement géographique ». Elle se saisit alors de la photographie comme un moyen d’appréhender ce retour aux sources.
De ce pays, elle retiendra des souvenirs qui lui reviendront en éclats, des images mentales qu’elle continuera à construire au fil de ses allers-retours, et qui la mèneront à produire son autofiction. Ses clichés racontent l’histoire d’une Algérie retrouvée, ses soubresauts et ses brûlures qu’elle explore, toujours à travers le filtre de l’ailleurs et de sa sensibilité féminine. Entre réel et onirisme, son travail questionne ses obsessions autour de la quête de soi, l’altérité, ainsi que la question de l’identité et la représentation de la femme algérienne.
Vertige identitaire
C’est à partir de soi que démarre chaque quête.
Après son premier retour aux sources en 2014, Lynn interroge sa « fiction identitaire » dans la série JE TU ELLES, à travers des autoportraits. Elle y incarne de manière ambivalente, plusieurs personnages de femmes algériennes : Kabyle, Saharienne, femme voilée et non voilée, errante. Chacune d’entre elles fait écho à ses personnages intérieurs. Qui suis-je ? Et si je est un autre ? L’identité est multiple, instable, changeante.
Cette série pose également les questions de l’altérité et de la représentation de soi, sous forme de séquences et d’images fragmentées. Baignée dans une lumière limpide, si propre à la ville d’Alger, Lynn y apparaît dans des états multiples, intrigante et fugace, entre apparition et effacement.
Femmes d’Alger dans leur appartement
Autour de soi se construit le monde et l’altérité.
A son retour, Lynn S.K. découvre une Algérie qui lui est à la fois familière et étrangère. La série Rue Belouizdad, Alger s’insère dans un petit appartement à Alger, partagé par ses tantes. Lumière incertaine du souvenir, rideaux en dentelle, coins d’intérieurs, intimité et chaleur familiale : les photos sont des formes de réminiscence, qui immortalisent désormais « ce qui ne doit plus être oublié ».
Je ne vois pour nous aucune autre issue que par cette rencontre : une femme qui parle devant une autre, qui regarde celle qui parle, raconte-t-elle l’autre aux yeux dévorants, à la mémoire noire, ou décrit-elle sa propre nuit, avec des mots torches et des bougies dont la cire fond trop vite ?
– Assia Djebar, Femmes d’Alger dans leur Appartement
Les femmes, ces héroïnes du quotidien
Raconter l’histoire des femmes, c’est combler la partie manquante de l’Histoire.
La femme musulmane est aujourd’hui au centre des polémiques, pourtant on prend rarement le temps d’aller à sa rencontre. Comment se construit l’identité de la femme algérienne au-delà des préjugés rattachés à la femme maghrébine ? Il y a un grand écart entre les rôles multiples qu’incarne la femme dans l’espace social et privé, et les représentations communes réductrices dont elle est sujette.
Le projet Sororités dresse des portraits multiples : jeunes femmes, jeunes filles, vieilles dames, mère au foyer, femme active, mariée, divorcée, veuve, arabe, berbère, portant le jilbeb, mlhefa ou cheveux au vent.
Les femmes et les terrasses : lieux de l’entre-deux
Par-delà les appartements, il y a les balcons, les jardins et les terrasses : ces plaies ouvertes d’Alger, ville écorchée qui dégringole vers la mer.
Ces recoins, aux murs décrépis, ouverts au ciel et à l’air libre, sont un refuge pour les femmes, souvent absentes dans les rues et contraintes dans leurs intérieurs. Elles y passent des heures entières pour circuler librement et s’offrir un moment à soi.
Ces lieux de l’entre-deux sont des interstices de liberté qui privilégient un accès vers l’intime, l’évasion et le rêve. Dans ce projet, Lynn S.K. questionne ces lieux urbains singuliers dans un contexte où le rapport des femmes à la rue est conflictuel et l’espace urbain résolument un territoire masculin.
Échappées au Sud
Bien loin d’Alger, au désert, l’Algérie se révèle sublime, éprouvante et frôle l’absolu.
Lynn S.K. continue son projet sur les femmes en s’envolant vers le sud, pour le deuxième volet de Sororités. Nous sommes à Djanet et à Tamenrasset, au cœur du Sahara algérien. Là-bas, les journées s’écoulent sous un autre temps. Lynn part à la rencontre des femmes touaregs, fascinantes de force et de mystère. Celles-ci lui racontent la poésie de la vie au désert mais aussi sa brutalité, la rudesse du climat, le combat des peuples touaregs contre la désertification et la sédentarisation, et de leurs traditions qui menacent de disparaître.
L’histoire des femmes touaregs fait écho à celle de la photographe dans leurs questionnements existentiels, mais surtout dans leur déplacement continuel et leur rapport complexe aux frontières, à la maison et à l’exil. Et enfin, ce sentiment permanent d’appartenir à un ailleurs : un lieu autre que celui où nous sommes.