Des maisons en blanc et bleu, un lit de sable doré et l’infini marin. Tel est le tableau qui s’offre à nos yeux pour notre deuxième journée dans la capitale tunisienne.
D’un tableau à l’autre, nous sommes accueillis par Hajer Azzouz dans sa « Maison de la plage » où trônent, suspendues, des photographies en noir et blanc qui débordent de subtilité.
Au fil de nos conversations avec les habitants éphémères de la maison, réunis ce jour là autour de nous, nous reconstituons la mosaïque des événements qui l’ont fait vibrer de couleur et de musique et nous nous plaisons à imaginer ceux qui la feront vivre artistiquement les mois à venir.
Un laboratoire d’idées
« La maison de la Plage est, comme son nom l’indique une maison en bord de mer où il se passe des choses. Où des artistes, voyageurs, journalistes, collectionneurs, architectes ou ambassadeurs se rencontrent. Où des expositions alternatives et confidentielles s’organisent, où des concerts improvisés ont lieu. Où des histoires se créent. Loin des circuits culturels et usuels de la capitale, la Maison dont j’ai la charge est un laboratoire d’idées et une plateforme d’expression. » nous confie Hajer Azzouz, designer de formation et fondatrice du lieu.
Il y a trois ans, la designer décide de faire de son espace de travail un espace ouvert au public; un espace agréable pour vivre et travailler mais aussi pour accueillir les travaux d’artistes le temps d’une exposition et inviter les tunisiens à explorer des univers artistiques différents. Invitée à New York, en Grèce et à l’Art-fair tunisienne pour son travail personnel en design, Hajer Azzouz se fait discrète et préfère s’effacer derrière les artistes qu’elle promeut dans sa maison en bord de mer.
Ce jour là nous découvrons sur les murs blancs des portraits de femmes réalisés par le photographe tunisien Sabri Ben Mlouka, qui fut la première exposition qu’accueillit l’espace en mai 2015. En noir et blanc, naissant dans les reflets et les suggestions, les photos de Sabri capturent, sous une lumière naturelle, la sensualité de femmes de Milan, de Tunis et d’ailleurs.
En discutant avec la petite équipe d’architectes et de designers qui travaillent à temps plein pour le studio HAD, dont les bureaux se trouvent aussi dans la maison, nous comprenons que la maison se métamorphose en espace d’exposition et de rencontres et change aussi d’ambiance au gré des saisons et des envies de sa propriétaire.
« Je veux un hiver blanc, je veux du blanc cassé, je veux du monochrome » déclara un jour Hajer. Son vœu s’exauça alors grâce aux petits apports de l’équipe et à son esprit de « chineuse et collectionneuse ».
« Un jour on a une lampe, le lendemain on trouve un lustre » lance Hela El khiari, l’une des collègues de Hajer.
Autour de Hajer, gravitent deux architectes pleines d’énergie : Hela El Khiari et Saima Fellah et un architecte d’intérieur, le mâle de HAD studio : Walid Khalfat. Cette petite équipe qui accompagne les activités de HAD, s’est aussi rapidement sentie investie de la mission d’alimenter l’espace d’exposition en proposant des initiatives au fil de l’eau.
Un espace (improvisé) d’exposition et de rencontres
Autour d’une table garnie de mets succulents et colorés, une autre artiste partage avec nous son univers. Il s’agit de Houyem Ghattas, violoniste qui a travaillé sur le volet sonore et musical de l’exposition de Sabri. Fille d’un percussionniste passionné, Houyem nous raconte avoir été immergée dans une ambiance musicale depuis sa tendre enfance.
Dans sa famille, la musique se transmet de génération en génération, son grand-père maternel jouait de la percussion et du Ney, et sa grand-mère paternelle, faisait du piano et chantonnait des petites mélodies. À partir de ces multiples influences, Houyem se constitue son propre univers qui mélange le blues, le rock et le jazz. Après le bac, la jeune fille s’oriente en effet vers des études à l’Institut Supérieur de Musique de Tunis et continue d’alimenter sa maîtrise instrumentale en parallèle. Après s’être intéressée au répertoire classique du violon, elle reçoit son premier violon électrique et commence le jazz, blues, rock avec son père lui-même batteur de profession.
En 2006, elle joue lors d’une master class à Ennejma Ezzahra suivie d’une master class donnée par Al Jarreau, qui participait au Festival de Jazz de Carthage.
Elle se retrouve aussi dans une Jam-session avec les musiciens de Billy Paul et de Al Jarreau, et reçoit ensuite une bourse de stage en Belgique en 2011 (Les Lundis d’Hortense) pour nourrir cette passion pour le jazz.
Diplôme en poche, Houyem voudrait maintenant consacrer plus de temps à développer sa propre musique en composant elle-même. Elle nous fait d’ailleurs découvrir une de ses premières compositions le jour de notre rencontre.
Le programme de réjouissances à venir
Après le succès de la première exposition de Sabri Ben Mlouka, Hajer a beaucoup été sollicitée pour en accueillir d’autres. Bien que son activité professionnelle intense ne puisse pas lui permettre d’accepter toutes les propositions qu’on lui soumet, Hajer nous dévoile un programme à venir qui promet d’en intéresser plus d’un.
Quelques jours après notre rencontre aura en effet lieu le vernissage de « Ayem », la série de Rand El Haj Hasan, exposée à l’Agora en collaboration avec la Maison de la plage. L’artiste palestinienne qui vit en Jordanie y expose les dessins de son journal, tracés en réaction aux informations qu’elle reçoit et à son état d’esprit du moment. Le trait de la jeune femme est impressionnant de par sa pureté et sa précision et les thèmes qu’elle évoque toujours de manière subtile et onirique se dévoilent entre les lignes.
D’une rencontre à l’autre, nous conversons ce jour là avec un poète dessinateur qui sera le prochain à exposer à la maison de la plage. Mohamed Barnat est natif de Djerba, ville dont il est éperdument épris et à laquelle il reviendra après avoir erré à Paris sans trouver sa voie. Son retour aux sources en 2005 sera donc l’occasion pour lui de développer sur le papier, son lien avec ses deux premiers amours : la poésie et le dessin.
Avec son premier ouvrage « Hyper Sans cible », Mohamed aborde avec humour et dérision les sujets de la vie quotidienne à travers les personnages qu’il dessine, les phrases qu’il écrit et les rythmes poético graphiques qui en résultent. Mohamed a un véritable univers, l’écriture et le dessin sont pour lui une réelle thérapie « qui le fait respirer et lui fait franchir les paliers de l’existence ».
Interrogé sur les interactions entre les deux médiums que sont le dessin et la poésie, Mohamed se confie :
« L’un s’exprime visuellement et l’autre fait surgir les mots. Je prends du plaisir à marier les deux pour véhiculer un message qui reste de l’ordre de l’émotion. »
Bien qu’il lise et apprécie la beauté de la langue arabe, Mohamed exprime sa poésie en français. Il nous parle aussi de la manière dont sa passion pour les lettres s’enrichit :
« En se confrontant à un univers particulier on se crée, souvent, un univers. Quand tu lis, ça se travaille malgré toi, ton style commence à émerger, c’est tout un univers. »
Et d’ajouter :
« Personnellement je me nourris beaucoup de poésie et je m’intéresse aux personnages qui se cachent derrière les lignes rythmées. Par exemple, Rimbaud j’lai choppé comme un virus. Son univers est une vraie quête vers l’absolu ».
À la fois poétique, musical et photographique, l’univers de la Maison de la plage est attachant et subtil. Nos hôtes ont ainsi réussi, en une journée, à nous transmettre la fougue et la passion qui les habitent et les poussent à continuer à laisser leur créativité s’exprimer.