La cinémathèque de Tanger, Temple arabe du cinéma d’art et d’essai

Si l’on cite souvent la prestation de la sulfureuse Yasmine Hamdan au Café baba dans le film « Only lovers left alive » de Jim Jarmusch comme fabuleuse scène tournée à Tanger, d’autres réalisateurs, charmés par la lumière et les airs authentiques de la ville, y ont trainé leurs objectifs.

Cette dulcinée du 7ème art a été le foyer de plusieurs tournages et il est navrant de constater aujourd’hui, dans un pays où les salles obscures sont dangereusement désertées, la fermeture contagieuse de plusieurs Cinémas.

Tanger ne compte aujourd’hui que quatre salles. Le Mauritania qui ne s’active, bon gré mal gré, que périodiquement, le Roxy, le Paris, et enfin le Rif.

Cinematheque Tanger - © Mehdi Drissi / Onorientour

Cinematheque Tanger – © Mehdi Drissi / Onorientour

C’est sur la place névralgique du grand Socco que s’érige le bâtiment bigarré du Cinéma Rif. Ce local risquait une clôture en 2005 et a été repris par l’association de la Cinémathèque de Tanger qui s’active et milite depuis pour présenter une programmation qualitative variée.

Cinematheque Tanger - © Mehdi Drissi / Onorientour

Cinematheque Tanger – © Mehdi Drissi / Onorientour

Nous nous sommes installés dans un recoin du café associatif, sous le regard bienveillant de Mariem Fakhr El Dine, Leila Mourad, Sabah et autres divas arabes dont le portrait magnifie les murs, afin de discuter autour d’un breuvage avec Malika Chaghal, déléguée générale de l’association.

Malika Chaghal - Responsable de la Cinematheque Tanger - © Mehdi Drissi / Onorientour

Malika Chaghal – Responsable de la Cinematheque Tanger – © Mehdi Drissi / Onorientour

Une tradition du Cinéma du Monde 

L’histoire de la cinémathèque ne date pas d’hier. D’abord intitulé Rex à sa création en 1938, le cinéma projetait des films venus du monde entier faisant écho à la qualité internationale du Tanger d’antan.
À la fin des années 60, les films à l’affiche célébraient la création égyptienne alors en plein âge d’or, avant de se dédier aux productions bollywoodiennes. Aujourd’hui, s’affirmant comme un carrefour culturel incontournable, la cinémathèque présente en version originale une programmation affutée qui rend hommage au cinéma d’auteur mondial.

Les acquisitions de l’espace aident à retracer l’histoire d’un cinéma riche et pluriel. On y retrouve d’ailleurs deux anciens sièges préservant la mémoire du Rex et une collection de films et d’affiches exceptionnelle qui continue à être alimentée.

Cinematheque Tanger - © Mehdi Drissi

Cinematheque Tanger – © Mehdi Drissi

Le pari de sauvegarde et de diffusion de la mémoire

La logique de la collection de la cinémathèque est essentiellement constituée autour de films marocains, de ceux qui traitent du Maroc ou qui l’ont comme toile de fond et enfin de films provenant du Moyen-Orient.
Aux archives, on a ainsi pris le pari audacieux de se développer en encourageant le cinéma indépendant et expérimental.

Nous pouvons citer à titre d’exemple, la présence des premières images animées et en couleurs du Maroc tournés par l’opérateur des frères Lumière Gabriel Veyre dans « Vues du Maroc » (1934). Le film de fiction « Café de la plage » de Benoît Graffin tourné à Tanger en 2001. Ou encore la trilogie, toujours en construction, du documentariste marocain Ivan Boccara qui a su, dès les deux premiers volets, « Mout Tania » (1999) et « Tameksaout » (2005), capturer la magie des paysages de l’Atlas.

Cinematheque Tanger - © Mehdi Drissi / Onorientour

Cinematheque Tanger – © Mehdi Drissi / Onorientour

Outre ces archives cinématographiques, un nombre important d’affiches originales du patrimoine iconographique égyptien et d’autres mettant en avant la ville permettent de monter des expositions hors les murs hautes en couleurs. Lorsqu’elles voyagent, ces illustrations recréent la magie désinvolte des lieux, comme pendant la manifestation Tanger-Tanger tenu à la Gaité lyrique, l’automne dernier.

Un modèle unique dans le Monde Arabe

Seul cinéma d’art et d’essai d’Afrique et du Monde arabe, la cinémathèque a un fort ancrage national et régional.
L’espace est doté de deux salles. Une petite pouvant accueillir jusqu’à 50 personnes et une seconde numérisée où une partie des 300 fauteuils porte une plaque mentionnant un nom de donateur. On y trouve, entre autres, Agnes B, Pierre Bergé ou encore Yves Saint Laurent.

Grâce à ses multiples connexions, la Cinémathèque a pu être un membre fondateur du réseau NAAS (Network of Arab ArtHouse Screens) où l’on retrouve différents espaces de projection tels que le Metropolis à Beyrouth ou encore Zawiya au Caire.

Chaque année, un atelier est organisé dans un pays différent pour permettre aux professionnels du secteur cinématographique du réseau de se réunir et mener une réflexion commune sur les enjeux de valorisation, de diffusion, publics…
Un moyen de s’inscrire dans un développement continu et de profiter des synergies possibles.

Malika Chaghal - Responsable de la Cinematheque Tanger - © Mehdi Drissi / Onorientour

Malika Chaghal – Responsable de la Cinematheque Tanger – © Mehdi Drissi / Onorientour

L’éducation à l’image au cœur de la stratégie de la cinémathèque

Dans une volonté de diversification des publics, plusieurs partenariats ont été noués pour rendre l’objet cinématographique accessible à tous. Des efforts de médiation sont ainsi fournis pour rapprocher le cinéma d’une population en zone recluse et habituer les yeux des moins jeunes à la magie de l’image.

« Nous voulons former le spectateur de demain » nous confie Malika en présentant les missions principales de la cinémathèque.

Elle a notamment pu concevoir, avec le ministère de l’éducation nationale, le programme «Lycée au cinéma» à destination de dix établissements publics. Les professeurs qui se portent volontaires, se voient formés et dotés d’outils didactiques qui leur permettent d’analyser 3 films (un grand classique, un film de genre et un film marocain ou de la cinématographie arabe) avec leurs élèves par la suite.

Cette année, les bénéficiaires du programme ont pu apprécier « Les yeux sans visage» de Georges Franju, « Timbuktu » de Abderahmane Sissako et « Mille mois » de Faouzi Bensaidi.

 

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