Cinq salles pour un voyage conceptuel au pays du cèdre : une impression poétique domine l’exposition d’art contemporain Se souvenir de la lumière, au Jeu de Paume, à Paris.
Nés dans le Beyrouth de l’avant-guerre, en 1969, les plasticiens Joana Hadjithomas et Khalil Joreige interrogent, depuis le début des années 1990, le processus de fabrication des images, et par là-même la construction d’une mémoire officielle dans leur pays. Pour échapper à ces représentations aliénantes, ils revendiquent l’expérience créative en métamorphosant les symboles, suggérant que l’identité libanaise est mouvante, introuvable.
Très contextuelle, la rétrospective des œuvres de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Se souvenir de la lumière, peut paraître assez inaccessible. Et, c’est sa limite. Mieux vaut bien connaître l’histoire politique et sociale du Liban et du Moyen-Orient pour décrypter l’exposition – ou s’aider de cartels un peu trop longs. Autre possibilité, se laisser porter par l’expérience esthétique.
Voici quelques pistes de découverte :
Images vivantes
Dans la série Wonder Beirut (1997-2006), qui ouvre l’exposition, des cartes postales montrant une vue idéale de la Riviera beyrouthine de l’avant-guerre civile (officiellement 1975-1990) sont tâchées de brûlures et jaunies par le temps. Sous un nom fictif (« le photographe pyromane Abdullah Farah »), les artistes superposent deux réalités : celle, fantasmée, des belles années 1960 à celle des années de guerre et de destruction. Ici, la seconde réalité modifie irrémédiablement le souvenir de la première.
Images miroir
Dans l’installation Le cercle des confusions (1997), une photo aérienne de Beyrouth est découpée en 3000 fragments détachables, derrière lesquels se dévoile un vaste miroir. Ici, le visiteur éprouve le vertige d’une mise en abîme : c’est notre regard sur la ville qui la fait exister. C’est également nous qui nous regardons exister à travers la ville et, finalement, le miroir rappelle que l’identité de la capitale libanaise est une interrogation sans fin. « Beyrouth n’existe pas » trouve-t-on écrit au dos des fragments détachés du miroir.
Images muettes
Dans la vidéo Toujours avec toi (2001-2008), les plasticiens filment les visages inexpressifs de politiciens libanais sur des affiches électorales. Par le biais d’un montage rapide, les portraits se confondent en une forme vague, semblent disparaître, vides comme peuvent l’être les programmes politiques de ces candidats corrompus.
Images inaccessibles
Dans le film Khiam 2000-2007, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige captent les témoignages de rescapés du camp de prisonniers de Khiam, au Sud Liban, alors occupé par l’armée israélienne. Seul moyen de survivre pour ces hommes et ces femmes enfermés dans de minuscules cellules : imaginer, créer des objets avec les moyens du bord. Par ailleurs, leurs récits rappellent la nouvelle Le Joueur d’échecs, de Stefan Zweig. Le camp de Khiam a été détruit pendant la guerre israélo-libanaise de 2006. Il ne reste plus que les histoires des survivants pour en garder le souvenir, la trace.
Images fantômes
Dans l’installation 180 secondes d’images rémanentes (2006), un film, tourné en super8 par l’oncle de Khalil Joreige, disparu pendant la guerre civile, est développé sous forme de vignettes révélant des prises de vues floues, indistinctes, à la limite du conceptuel. En prolongeant notre regard, on y découvre des silhouettes qui semblent vouloir résister à tout prix à leur dissolution.
Images disparues
Dans la vidéo ISMYRNE (2016), Joana Hadjithomas et Etel Adnen, peintre et poétesse, dialoguent au sujet de leurs familles, toutes deux chassées de la ville turque – l’actuelle Izmir – au début du XXe siècle. L’œuvre montre comment un sentiment d’appartenance peut se nourrir de récits réels ou imaginés, en l’absence de tout souvenir tangible, tels que des photographies. Les mots sont ici plus évocateurs que les images.
Joana Hadjothomas et Khalil Joreige, Se souvenir de la lumière (Two Suns in the Sunset)
Exposition au Jeu de Paume jusqu’au 25 septembre 2016.