Magic Tarbouch’ : jazz, rock et fièvre sur Tanger

Il est 20h, et l’ambiance clapote doucement, comme les bulles qui remontent vers la surface de la bière. Les habitués saluent Nicolas et Christine, les tenanciers de La Fabrique, le dernier bar-restaurant à intercaler sa façade moderne et enfumée entre les immeubles de la rue d’Angleterre, dans la ville nouvelle de Tanger.

Dans le fond, des musiciens règlent leurs outils, dans un fracas de marteau-piqueur. Les conversations se font criardes : on déplore l’acoustique restreinte du lieu, qui ne permet de concert qu’étouffé ou assourdissant. Ce soir, le son est fort – et ce sera tant mieux.

Ceux dont les oreilles sont ignifugées par trop de bonne musique, trop de punk, de rock, de jazz même, d’électro ou de hip-hop, sourient en regardant le groupe se mettre en place. Le jeudi soir, de 20h30 à 21h30, c’est Magic Tarbouch’ qui vient jouer, qui vient jouer fort, et ceux qui ne sont pas là pour les voir repartiront vite.

Mais ce soir, tout le monde est venu les voir.

Magic Tarbouch’ est presque en place, les tarbouches crânement posés sur la tête. Les fesses se décollent des fauteuils et les cols se hissent pour voir de plus près ces petits jeunes – le groupe est âgé d’à peine dix mois – qui chauffent La Fabrique depuis plusieurs semaines.

En fait de petits jeunes, il y a au moins une tête grisonnante dans le lot : Tarik, dont on apprend rapidement qu’il fait partie des trois membres fondateurs du groupe de punk rock Lazy Wall – des riffs bien lourds et grunge dans la chaleur de Tanger. Une référence.

Première surprise, donc : on m’a vendu du jazz, et c’est un rocker qui mène la danse. Attendons de voir. Le vacarme se calme. Les musiciens sont en place : Ayoub à la batterie, Yassine à la basse, deux guitares, pas de chanteur (« Je préfère le son de nos instruments », me glissera Tarik), et Cédric, trompettiste, qui vient poser des nappes calmes et rythmées sur quelques morceaux pour faire bonne mesure.

Le public s’est lentement levé. Les cocktails ont remplacé la bière, le whisky remplace peu à peu les cocktails. La salle s’est remplie sans en avoir l’air. Il est 20h29.

Et c’est parti.

Les cinq zouaves maîtrisent magnifiquement bien leurs instruments, et même si la guitare fiévreuse, fumante, bondissante de Tarik mène clairement la danse, les autres ne sont pas en reste – notamment Smail, l’autre guitariste, qui du haut de ses vingt-cinq ans à peine nous pond des soli au feeling brûlant, piquant, qui nous laissent la tête vibrante et chargée d’éclats.

Le ton est donné dès les premières minutes : le fond est jazz, incontestablement jazz – une reprise de Miles Davis vient le rappeler en quelques mesures – mais la température monte à toute vitesse. Ce ne sont pas seulement les instruments qui sont rock, ce sont aussi les yeux révulsés des musiciens, leurs mains qui dansent sur les instruments, l’odeur de sueur qui se mêle à celle de l’alcool – Tanger vient de passer de l’hiver à l’été, au début du mois de mai, et la rue d’Angleterre bruisse littéralement de chaleur.

Magic Tarbouch’ n’est pas là pour distiller une petite musique d’ambiance pendant que son public sirote un cocktail. Le public s’est levé,  le verre à la main, et hoche la tête ou tape du pied en rythme avec la musique. C’est du jazz avant d’être du rock, mais c’est du jazz qui coupe et qui tranche. L’air vibre, nos tympans aussi.

Les whiskys se servent sans glaçon. Rien ni personne ne saurait nous rafraîchir, à présent.

Les guitares tressautent. Tarik revendique haut et fort l’influence de la surf music, ce rock easy-listening et rythmé qui connut quelques heures de gloire sur la côte californienne, et repose sur un jeu de guitare à la fois fluide (à l’oreille) et technique, surtout en raison de sa rapidité. L’exemple le plus connu en est le morceau Misirlou de Dick Dale, qui sert de générique à Pulp Fiction.

Les morceaux s’enchaînent, et l’heure de fin du concert est tranquillement dépassée. N’importe comment, qui osera les arrêter ? Le public, bigarré et de tout âge, approuve et applaudit.

Pour finir, une reprise du générique du Green Hornet (où la guitare de Tarik remplace avantageusement la trompette usuelle), et un final en forme de clin d’œil sur le thème principal de la Panthère Rose (qui a rarement été aussi explosive).

Les applaudissements se prolongent. On attend une jam session, comme la semaine précédente, mais Tarik refuse avec un sourire – « On a déjà joué vingt minutes de trop, il faut que les surprises restent des surprises ». Les musiciens remballent leurs affaires, vont serrer les pognes et écluser quelques verres avec leur public.

On cause en français, en anglais, en arabe, en espagnol, d’abord de musique, d’instruments, puis rapidement de concerts, d’événements, de vie culturelle, d’expos, de galeries claires et de bars enfumés. Des numéros de téléphone, des noms, de bonnes idées s’échangent. La fièvre n’est pas retombée. Les lèvres qui parlent ont encore l’odeur du whisky, et les oreilles qui écoutent vibrent encore du son des deux guitares hallucinées.

On ressort vers minuit de la Fabrique, persuadé que Magic Tarbouch’ doit aller plus loin – un EP, un album, un enregistrement live ? Peut-être un passage par la France, les Etats-Unis ?

En tout cas, c’est plus qu’un concert qui a été offert ce soir. C’est une montée en puissance, c’est une bouffée de chaleur, c’est une ambiance rock, jazzy, percutante, franche, peut-être un peu brute de décoffrage, mais fondamentalement affectueuse et amicale.

Magic Tarbouch’, Tous les jeudis soirs à 20h30 à la Fabrique

7, rue d’Angleterre, 90000 Tanger

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