Après quelques rendez-vous dans le très proche cercle de Jabal Webdeih, nous descendons les marches qui mènent des hauteurs du quartier au centre-ville. Notre regard s’arrête alors sur la petite pancarte indiquant le terme « Jadal ». Dans la petite cour sur laquelle mène le couloir d’entrée, Fadi, son fondateur, nous attend pour nous présenter le lieu et ses activités.
Parcours d’un ingénieur reconverti
Fadi est un ingénieur de formation qui s’est réveillé un jour en se rendant compte qu’il ne se sentait pas épanoui dans ce qu’il faisait. Activiste politique de longue date, le printemps arabe a réveillé chez lui un espoir de changer les choses. Après que la fougue du mouvement se soit essoufflé, Fadi a décidé de s’engager sur le changement des mentalités d’une manière plus douce et à plus long terme en créant un espace de partage de connaissance, d’art et de culture.
Partant du postulat qu’aucune réalité n’est fixe mais que le monde est constitué d’une multiplicité de réalités mouvantes et fuyantes, Fadi veut explorer ces possibles par le débat et l’échange. Il décide alors de donner une existence physique à ce concept philosophique de Jadal au sens d’une confrontation d’idées créatrice de débats et accoucheuse d’idées nouvelles.
Dans sa recherche, Fadi tombe alors sur une maison à louer et décide d’y investir pour en faire un lieu culturel où les gens se retrouvent, discutent, partagent des idées et se voient proposer de participer à des projets sociaux. Le travail sur Jadal est entamé en 2011 et l’espace ouvre ses portes en 2012. L’idée derrière Jadal est de créer un espace où la connaissance se partage et s’éduque.
La philosophie du Jadal
Doté d’une galerie, de deux salles de travail, d’une librairie et d’un café qui donne sur la cour centrale, Jadal dispose d’une superficie et d’une localisation qui le rendent facile d’accès, donc fréquentable. Pour transformer sa mission en sous projets concrets, Jadal a une programmation régulière et un espace bien aménagé. On y organise des discussions sur des sujets sociaux, environnementaux et philosophiques mais aussi des concerts pour les musiciens émergents et des expositions. Pour ses ateliers et ses discussions, l’espace ne privilégie pas tel ou tel art et ouvre ainsi le champ des possibles au public pour suggérer des activités ou des axes de discussions.
En parallèle de ces activités artistiques et intellectuelles, Jadal travaille beaucoup sur les problématiques des réfugiés syriens. L’espace organise en effet des collectes et d’activités humanitaires pour ces réfugiés dont le nombre atteint près d’un million de personnes, aujourd’hui en Jordanie.
Ce positionnement social du lieu est une vraie originalité par rapport aux autres espaces culturels de Amman et c’est par le travail acharné de Fadi et sa petite équipe pour aider les réfugiés syriens que l’espace est surtout connu. Fadi nous informe d’ailleurs que quelques semaines après notre rencontre seront exposés des travaux artistiques en relation avec le camp syrien de Zaatari. Comme l’un des axes de travail de Jadal figure également l’éveil artistique, le jour du vendredi est réservé à faire visiter la ville aux petits enfants syriens et plus généralement, à ouvrir le dialogue entre les communautés.
Enfin, presque tous les jours, Jadal a un programme de cours de langue qui ne désemplit pas. Profitant du nombre d’expatriés qui gravitent dans l’espace, Jadal offre des cours d’arabe, d’italien de français et d’espagnol.
La plupart des lieux culturels de Amman attirent un certain type de public, souvent issu des sphères culturelles ou de celles des expatriés. Jadal est ainsi un des seuls espaces à avoir réussi à brasser les publics par sa triple vocation culturelle, artistique et sociale. Mais bien qu’il ait accueilli des noms comme Semazen ou Al Far’i, l’espace reste jeune et a besoin de financements pour continuer à exister.
Fadi nous explique d’ailleurs vouloir recourir à une campagne de financement participatif sur zoomal pour étendre ses activités. Il essaye aussi de travailler avec les autres espaces culturels voisins pour créer des synergies constructives mais le chemin reste encore long.
En attendant, Fadi et ses six acolytes préparent une « université ouverte » pour le printemps prochain. Au menu, des formations et discussions autour des sciences humaines, de la psychologie, de l’histoire, de l’économie et de la physique. Voilà donc pour lui une manière d’utiliser sa formation initiale de scientifique pour une cause qu’il trouve plus épanouissante.